Une chose nous saute au visage
Une explosion tellement colorée qu’elle est jubilatoire, sur deux écrans géants, à l’entrée de l’exposition Les Choses au Louvre ; c’est la fin du film Zabriskie Point, 1970, d’Antonioni. Tous les objets de consommation, des choses, donc, volent au ralenti dans le ciel bleu… Magie du cinéma !
Ensuite, c’est moins géant, on progresse le long d’un couloir ponctué de quelques hernies, avec de chaque côté des œuvres du temps d’avant – il y a la première Vanité, sauvée de Pompéi – et d’autres d’aujourd’hui ; tout un tas de « choses » qui donnent envie, non pas d’autre chose, comme dans la chanson Foule Sentimentale de Souchon, mais de plus d’espace pour les regarder.
En face de deux des quatre saisons d’Arcimboldo, une vidéo, extraite d’un court métrage d’animation Les possibilités du dialogue, réalisé en 1982 par Jan Svankmajer, s’en inspire ; elle aurait mérité, comme Zabriskie Point, un écran géant.
Juste à côté, Harvest, Philadelphia, 1983, de Joel Peter Witkin, fait aussi écho à Arcimboldo ; c’est hypnotique.
Plus loin, voisin d’une peinture de Dali où les objets dansent, comme dans une nature, pas morte du tout, un artiste beaucoup moins connu, Jacques Linard, (1597- 1645) met en scène Les Cinq sens et les Quatre éléments, avec un oiseau sur la gauche, dont la tête est fascinante.
Soudain, Armoire avec attributs religieux et vanités, Padoue, entre 1520 et 1523, me fascine ; assise en face, sur une chaise, une dame déplore, comme l’œuvre est le long du couloir, que plein de gens passent et nous dérangent tous les deux dans notre exercice d’admiration.
Alors nous leur demandons de s’arrêter pour nous laisser regarder ; captivés, nous nous enfonçons dans les profondeurs créées par les effets de perspective ; la dame me parle des douze essences différentes utilisées, alisier, buis, charme, châtaignier, chêne, cyprès, érable, grenadier, nerprun, noyer, olivier, poirier.
Je ne connais pas le nerprun ; « on l’appelle aussi noir-de-cerf, son odeur est désagréable, mais on en tire une teinture, le vert-de-vessie » me dit-elle. Elle reste assise ; je la quitte à regret.
Laurence Bertrand Dorléac, la commissaire de l’expo, arrive, avec son livre Pour en finir avec la nature morte ; elle dit à chacun qu’il est « impossible de s’intéresser aux choses tant qu’elles ne vous ont pas sauté au visage » (1) ; « vous avez raison » lui dit la dame en se levant pour me rejoindre.
Nous allons jusqu’à la fin du couloir ; un extrait du film Playtime, 1967, nous fait rire : Jacques Tati appuie sa main puis s’assied sur un siège en skaï, qui garde l’empreinte quelques secondes ; « il a l’air confortable » me dit la dame.
Elle me murmure à l’oreille les petites phrases qu’elle a lues sur les murs de l’expo, signées Hugo, Marx, Pessoa…
Puis on aperçoit les paroles de la Complainte du Progrès de Boris Vian ; je cherche dans mon smartphone, on se met à la chanter ; les gens autour chantent avec nous, la commissaire aussi, bien sûr ; c’est quelque chose !
(1) C’est la première phrase du livre.
Drôlement vivante cette visite d’expo sur la nature morte ! Plus proche de la “still life” anglaise que du terme français en tous cas… Et donne envie de venir y voir, et chanter !
Ton monde, rêvé !