Le don du Cif
Un type est allongé sur le trottoir. Deux femmes s’arrêtent et lui demandent : « Ça va monsieur ? ». Arsène connaît le type, c’est sa rue ; les deux femmes, il ne les a jamais vues ; elles sont très attentionnées, lui proposent un café et de l’argent.
Sorti pour faire des courses, Arsène vient de dire bonjour au retoucheur de la rue qui lui a demandé de lui rapporter une baguette, car il a du travail ; la boulangerie est dans une autre rue.
De retour avec la baguette, Arsène est surpris de voir que le type et les femmes ont disparu.
Ce qui semblait aller lentement – le type était allongé, fatigué, puis assis, guère mieux – s’est accéléré avec la promesse d’un café et d’un peu d’argent.
Arsène est devant l’évidence : les deux femmes n’ont pas regardé ce type comme lui ; il sait qu’il dort par terre dans la journée en attendant que des gens qui passent lui demandent « Comment ça va ? » ; est-ce une raison pour que les habitués le laissent dormir comme un chat ?
Souvent dans la tête d’Arsène, le balancier oscille entre donner et ne pas donner une thune ; cette décision personnelle procède de l’humanité la plus élémentaire…
Est-on chaque jour aussi humain que la veille ? Plus, si la veille on ne pouvait saquer personne ; moins, si l’on était devenu quasi un saint ; le balancier…
Plus loin, devant le Carrefour Express, Arsène tombe sur un jeune de 19 ans qui fait la manche ; il ne le connaît pas.
Arsène : Vous parents savent que vous êtes là ?
Le jeune : Ils sont morts.
Arsène : Vous dormez où ?
Le jeune : Chez ma grand-mère.
Arsène : Vous avez des projets ?
Le jeune : Je commence normalement au mois de juin un stage de menuiserie.
Arsène : Vive la menuiserie !
Il lui donne une thune et entre faire ses courses.
En sortant, du Cif dépasse de son sac, le jeune se rappelle que sa grand-mère lui a demandé d’en acheter ; il le dit à Arsène qui lui donne le Cif.
Arsène va au café prendre une « noisette » ; sur le trottoir d’en face, assis sur le rebord qui donne accès au distributeur du Crédit du Nord, un type est assis.
Arsène traverse, il le connait ; il a été a absent pendant un moment.
Arsène : Comment ça va ?
Le type : Je suis très fatigué.
Arsène : Que vous est-il arrivé ?
Le type : J’ai eu une hernie ; à l’hôpital, ils m’ont donné des calmants.
Arsène retourne au café lui chercher un expresso sucré ; il fait ça de temps en temps, pas tout le temps.
Arsène rentre chez lui ; avant d’aller s’allonger pour se reposer, il met un post-it sur le frigo : « J’ai oublié le Cif ».
De temps à autres, je lis et c’est agréable à lire. Alors merci. C’est pas de la thune, mais c’est pas mal non plus.
Vraiment, la vie n’est simple pour personne… vraiment personne …
Le balancier et l’habitude qui cohabitent et donnent un fragile équilibre, rythment l’humanité de chacun suivant les jours….