L’Arc emballé par Christo : c’est pour offrir ?

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En 1985, certains d’entre nous marchèrent sur le Pont Neuf emballé par Christo. Quel souvenir !

Depuis le 18 septembre et jusqu’au 3 octobre 2021, au milieu de la place de l’Étoile, piétonne – un événement – lors des trois week-ends de l’installation, on voit la silhouette de l’Arc de Triomphe emballée dans 25 000 mètres carrés de tissus, tenus par 3000 mètres de corde rouge.

C’est très impressionnant !

L’œuvre est financée par Christo et Jeanne-Claude eux-mêmes, comme ils avaient déjà pris en charge le coût de l’emballage du Pont Neuf.

14 Millions – quand même ! – réunis en vendant dessins préparatoires, souvenirs, maquettes, lithographies…

Christo est mort l’année dernière ; il s’agit d’une œuvre posthume, dont la réalisation a été menée par son neveu Vladimir Yavachec.

Sur la place, des jeunes médiateurs vêtus d’un gilet bleu informent qui veut : sur leur buste on lit Jeanne-Claude (1) et Christo ; dans leur dos, Arc de Triomphe Wrapped.

C’est l’occasion de découvrir le sens de ce mot : emballé. Pourquoi l’anglais ? Pour être compris par le public international, en haut des Champs-Élysées, sans doute ; aussi parce que c’était la langue courante de Christo…

Mais Napoléon, qui a ordonné l’Arc, pas l’emballage, n’était pas emballé par les Anglais, loin s’en faut !

Je demande à une médiatrice ce qu’elle pense de l’œuvre : passés quelques mots sur la disparition (2), elle m’évoque le Shibari ; une technique japonaise pour ficeler un corps, consentant, avec des cordes ; c’est très sensuel, me dit-elle.

Christo disait de l’Arc emballé « Il sera comme un objet vivant qui va s’animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, la surface du monument va devenir sensuelle. »

Il croyait dans « l’interactivité verbale avec le public » qui faisait partie intégrante de sa créativité. Il disait « mon art est le résultat d’une réflexion et d’une intuition esthétique imposée à un environnement naturel et construit. »

L’arc de Triomphe a été ordonné par Napoléon en 1806 (3), pour célébrer l’Empire en effaçant le souvenir de la Révolution, à l’entrée de la rue du Faubourg Saint-Antoine, raison pour laquelle il ne devait pas être construit place de l’Étoile, mais à la Bastille ; l’urbanisme en a décidé autrement…

En 2018, l’attaque de l’Arc de Triomphe par les Gilets Jaunes, a ajouté une dimension sociale à cet environnement, donnant l’occasion à des journalistes de télévision, mal renseignés, d’annoncer, l’air accablé, qu’on s’en prenait à un symbole de la République…

À propos d’attaque, les 25000 mètres carrés de toile transforme en forme, le monument à la gloire de centaines de milliers de jeunes soldats tués dans les batailles napoléoniennes, dans la première guerre mondiale et dans tant d’autres…

Place de l’Étoile, chacun est libre d’admirer, de détester, cet emballage : c’est pour offrir ?

Offrir une sensation : les longs drapés tombent en plissé du haut des 50 m ; des sculptures recouvertes, accidentent le rythme des parois ; les nuages gris de septembre donnent un air tragique à la toile. Christo est mort sous une bonne étoile.

(1) Jeanne-Claude était sa femme, décédée en 2009 ; ils habitaient tous les deux au début des années 1960 à proximité de la place de l’Étoile, ainsi l’idée d’emballer l’Arc avait germé dans leur esprit, avant le Pont neuf… Ensuite ils s’installèrent définitivement à New-York.

(2) On nous répète que la « disparition – apparition » est le credo des emballages de Christo ; La Disparition est le titre d’un livre de Pérec que les amateurs d’Oulipo connaissent bien ; Pérec qui a écrit aussi Espèces d’Espaces   excellent outil pour aborder l’espace piéton éphémère de la place, et tenter de cadrer l’œuvre…

(3) Inauguré 15 ans après sa mort, en 1836.