J’en parlerai à mon cheval

Arsène est dans le métro avec son pote Sénar, venu le voir depuis son hameau en montagne ; ils sont assis sur les strapontins. Ils ne se racontent pas leur vie en cascade ; se connaissent assez pour s’offrir ce luxe…

En face d’eux, en haut du wagon, Sénar voit une phrase imprimée, loin d’être banale ; il la dit à haute voix :

S’il arrive que tu tombes, apprends vite à chevaucher ta chute. Que ta chute devienne cheval pour continuer le voyage.

Arsène le regarde : Chevaucher ta chute ?

Sénar : Je suis sorti vivant d’une avalanche. Je l’ai vu venir ; j’étais au bord de la coulée. J’ai couru, je suis tombé. Elle m’a un peu entrainé… J’ai appris la prudence depuis.

Arsène : Que ta chute devienne cheval ?

Sénar : Ta chute, si tu la considères comme un moment de ta vie, sans chercher à l’oublier, parce que ça fait peur rien que d’y penser, tu vas voyager avec celui que tu es devenu depuis.

Arsène sort son smartphone pour en savoir plus sur Frankétienne (1), le poète haïtien, auteur des lignes : Regarde, sa vie a commencé par une chute ; il est né en 1936, sa mère avait 14 ans, violée par un américain (2).

Sénar : Ensuite il a sacrément chevauché ! Au fait, t’as du réseau ; pas moi.

Arsène : Le réseau de son poème, le cheval, est composé de toutes les parties de toi-même que tu as remises en contact après ta chute…

Sénar : Même des parties révélées par ma chute… Après l’avalanche, j’ai beaucoup dit ce qui m’était arrivé, la chance que j’avais eu ; j’ai même parlé aux avalanches que je voyais tomber.

Arsène : Tu leur a dit quoi ?

Sénar : Chut ! C’est entre elles, ma chute et moi.

Arsène : C’est donc ça que ça veut dire…

Sénar : Quoi ?

Arsène : J’en parlerai à mon cheval (3).

(1) Le nom complet de Frankétienne est : Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent.

(2) ll est né « chabin » : blanc de peau, noir de morphologie, les yeux bleus. Son œuvre est immense ; si vous voulez en savoir plus, regardez cette vidéo.

(3) En dehors de cette nouvelle interprétation d’une expression qui ne date pas d’hier, utilisée pour abréger une conversation qui ne nous intéresse pas, et dont la version plus rare est « J’en parlerai à mon cheval et s’il rigole je lui brosse les dents », voici un lien pour en connaître l’historique.

Laisser un commentaire

  • Aucun des champs ci-dessous n’est obligatoire.
  • Ce que vous saisissez sera conservé indéfiniment.
  • Votre adresse IP est anonymisée.

Résoudre : *
22 − 2 =