Dès qu’elle lâche allo

©Madame

En attendant son tour, dans la boucherie, devant les faux-filets, vrais onglets, rôtis, rosettes, une dame parle à voix basse dans son téléphone. Son tour arrive.

Le boucher : Hello !

La dame : Je voudrais, s’il vous plaît, des escalopes de poulet.

Le boucher : Combien j’en mets ?

La dame : 4.

Le téléphone : 4 quoi ?

La dame : Je suis dans une boucherie.

Le téléphone : Mon boucher a la main trop lourde, alors je n’y vais plus…

Le boucher : Madame ?

Le téléphone : Je préfère ne plus manger de viande que d’en manger plus que je n’en demande…

Le boucher : Madame, Madame ?

Le téléphone : Trop d’œufs, c’est lourd, alors que faire quand on n’aime pas le poisson…

Le boucher : Madame, Madame, Madame ?

Arsène est dans la boucherie depuis les trois minutes que dure cette scène de la vie ; est-ce encore la vie ou le début de la lie ?

Il dit vers la dame à voix haute : Le monsieur vous demande…

Le téléphone : En mariage ?

La dame s’étrangle en regardant Arsène : On se connaît ?

Arsène : On se découvre.

Le téléphone : Qui est cette dame qu’on appelle sans arrêt dans ta boucherie ? Est-elle sourde ?

Malheureuse, la dame répond enfin : Oui, ça sera tout.

Elle paye, sort ; Arsène est sur le trottoir

La dame : Monsieur, vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas !

Arsène : Je suis au téléphone, Madame, chacun son tour !

La dame : Si vous saviez…

À quoi bon en dire plus, elle pense qu’il ne comprend rien ; elle s’en va.

Arsène raccroche son leurre ; il pense au boucher qui,           à 7 h 30,  prépare une aiguillette, un morceau d’une vache Limousine âgée de 5 ans.

La dame est loin maintenant. Arsène se demande comment faire pour qu’au-delà d’elle, les dames, les hommes, qui se pendent au téléphone, le lâche ?

Il se souvient de l’œuvre de Madame : C’EST D’Y CROIRE QUI FAIT VENIR LES MIRACLES PAS DE LES ATTENDRE…

La dame pleure sur un banc ; depuis le temps qu’elle n’ose pas dire au boucher, que l’escalope n’est qu’une escale ; qu’il est son phare, que loin de lui, elle monte et descend au gré des vagues dans la mer des gens.

Arsène croit qu’il faut procéder par étapes pour donner sa chance au miracle ; du coup, il torche un haïku, qu’il donne au boucher :

À la boucherie, hello

Dès qu’elle lâche allo

Ils taillent une bavette !

 

 

 

Laisser un commentaire

  • Aucun des champs ci-dessous n’est obligatoire.
  • Ce que vous saisissez sera conservé indéfiniment.
  • Votre adresse IP est anonymisée.

Résoudre : *
16 − 10 =