Cet ange pose un lapin

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Ils sont quatre dans la salle d’attente de l’hôpital, installés dans des fauteuils médicaux aux réglages dignes de Star Wars. Le premier prie à voix basse et compte les billes de son chapelet ; le second ronfle ; le troisième regarde Arsène longuement…

Ils s’échangent des « Ça va ? », suivis de « Oui » avec la politesse anglaise qui conclut ce genre d’échanges si l’un insiste : « You realy want to know ? »

Mais le temps dépasse la politesse, le type dit : « J’ai traversé une année noire, des chutes en cascades, putain d’escaliers, l’épaule déchirée, le genou enflé, des douleurs mal placées… Mais bon, ça va un peu mieux… »

Arsène montre ses cartes pour se mettre à niveau même s’il est loin du compte : « J’ai eu une quinzaine d’ECG depuis que mes oreillettes faisaient des castagnettes ; dans les escaliers, mes jambes s’alourdissaient à mesure des marches, les paliers avaient des allures de cols à franchir… Et puis on m’a opéré… Ça va nettement mieux ! »

Ils en sont là de leurs confidences quand surgissent les quatre brancardiers de l’Apocalypse qui se tapent dans les mains, font des pas de deux, leur révèlent : « Un nouveau monde arrive, sans IRM, ni SCANNER, ponction lombaire, accident vasculaire… ! »

Ils ajoutent pour être plus clairs : « Vous êtes guéris, c’est fini, plus de perf’, ni de périf’ ; allons dans les champs ! »

Arsène, son nouveau pote et le prieur et le ronfleur qui se réveille en sursaut. Ils sont tous électrisés par l’annonce ; son nouveau pote veut prévenir sa femme, mais il n’a plus de batterie ; Arsène lui dit : « Venez ! Elle sera sûrement dans les champs, comme la mienne, comme les autres ; et ceux qu’on ne verra pas aujourd’hui, ce sera pour demain ! »

Son nouveau pote s’illumine : « Il va falloir se faire à l’idée de ne plus s’inquiéter. »

Ils avancent, un lapin court vers eux, fait des bonds, un autre arrive, tout plein de lapins leur tournent autour dans un sens, dans l’autre…

Ils éclatent de rire, se demandent lequel d’entre eux va le mieux, puis qu’aller mal n’a plus de sens au milieu des lapins…

Ils marchent vers la mer ; au-dessus des rochers, en haut d’un calvaire, Arsène voit les oreilles d’un lapin !

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Son nouveau pote est d’accord : « Si quelqu’un prétend que ce sont des ailes d’ange, on n’a qu’à lui dire : cet ange pose un lapin ! ».

Arsène a une bouffée du temps où ils étaient malades :          « Blague à part, quand un ange pose un lapin, il n’est pas là ; à quoi vont servir les calvaires si l’on ne souffre plus ? »

Son nouveau pote se rappelle son père lui disant, le jour du mariage de son frère, en l’absence de sa sœur religieuse :     « On n’a pas pas besoin d’elle quand tout va bien ! »

Arsène tourne autour du calvaire ; il découvre le Christ accablé, tandis que des anges récupèrent son sang, cambrés comme des danseurs.

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Son nouveau pote l’appelle : « Vu d’ici, l’ange du haut n’est plus un lapin, c’est un yogi ! »

Arsène le rejoint. Il voit la Vierge derrière, et l’ange, l’aile relevée : « Ils se serrent comme dans l’ascenseur ! »

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Le calvaire a assez duré ; ils vont plus loin.

Son nouveau pote lui dit : « Tu sais pas la meilleure avec tous ces lapins ? »

Arsène a un éclair : « Mais oui, 2023 est l’année du Lapin pour les Chinois ! »

Son nouveau pote énonce le proverbe : « Gardé comme une vierge, rapide comme un lapin qui s’échappe… »

Arsène : « De l’hôpital ! »

 

 

  1. Arsène tombe dans le mysticisme ! Aïe !
    Vite un bon vin chaud pour redescendre sur Terre (comme dirai Thomas Pesquet)

  2. C’est un mysticisme tellement poétique, plein d’humour et ouvert…comprenne qui voudra bien comprendre ce qu’il désire …un très joli talent d’écriture qui donne du souffle…merci

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