Blagues sur bagues

À 17 h 30, trop de monde dans le métro pour ne pas se frôler au lieu de s’espacer. Une jeune femme en manteau, est debout devant un strapontin ; une autre femme, presque aussi jeune, monte dans la rame, la frôle, la dépasse, reste près d’elle, faute de place ; la première tire son pan de manteau avec rage.

Arsène a vu qu’il ne s’était rien passé ; il n’a encore rien vu.

La femme frôlée : Vous me touchez pas.

La femme frôleuse : Je suis désolé mais je n’avais pas le choix ; je vous ai juste frôlée.

La femme frôlée : Vous me touchez pas.

Arsène : Elle n’a pas fait exprès…

La femme frôlée : Ta gueule !

La femme frôleuse : Je suis ceinture noire de karaté.

La femme frôlée descend deux stations plus tard. Arsène se rapproche de la femme frôleuse.

Arsène : J’aime beaucoup le tissu satiné de votre masque ; et votre bague…

La femme frôleuse : Merci.

Arsène : Si vous l’aviez mis sur le visage de la femme, sa joue aurait fleuri.

La femme frôleuse : Une bague fleurit autrement.

L’âme d’Arsène serait le terreau idéal de cette floraison ; mais sa station approche…

La femme frôleuse : Le karaté c’était du bluff.

Arsène : Je descends à la prochaine.

La femme frôleuse : Je vais au terminus.

Arsène : À demain, même heure, même endroit ?

La femme frôleuse : À demain.

Dans les couloirs du métro, Arsène est frôlé par une femme pressée qui lance un pardon sans se retourner ; Arsène ne voit pas d’offense et repense au Caire, quand sur un boulevard, le soir, les promeneurs se frôlaient, s’évitaient dans des arabesques…

La nuit s’évanouit, le lendemain se lève avec les heures à attendre.

« Je te frôle, tu me frôles » se répète Arsène.

À l’heure et à l’endroit dits, le métro arrive, plein de passagers masqués en satin, mais sans elle ; Arsène entend l’annonce « Personne ne monte dans cette rame ».

Au bout du quai, il la voit ; sa bague brille ; il court, il court, pour toucher sa main comme dans la chanson Neige au soleil de Bertrand Belin

La chanson avertit « Méfie-toi tu n’en reviendras pas » ; Arsène ne l’a pas rattrapé.

Alain Rey est parti mais son Robert reste ; frôler : « toucher légèrement en glissant, en passant ».

En bas des escaliers, une jolie femme lui demande de l’aider à porter son sac.

La femme au sac : Merci. Je viens de voir une femme avec une grosse bague et un masque en satin.

Arsène : Je la cherche.

La femme au sac : Elle était pressée ; pourquoi la cherchez-vous ?

Arsène : Sa bague me rend dingue.

La femme au sac : La voici !

Arsène : Mais ?

La femme au sac : Je vous la donne !

Arsène : Comment ?

La femme au sac : Je les fabrique.

Arsène : Merci.

La femme au sac : La bague ne fait pas la femme !

Arsène : Elle allume l’homme…

La femme au sac : Mais la lumière éteinte, est-il toujours là, comme une braise, ou en cendres, à descendre l’escalier de service ?

Arsène : Vos cendres m’évoquent la chanson Pluie de Terre  de Marcel Kanche ; elle n’est pas gaie. Kanche chante sombre, mais glisse des blagues en concert.

La femme aux bagues : Vous êtes attiré par les bagues en fleur et les chansons tristes.

Arsène : Ce sont les meilleures ; il suffit d’écouter Dead Flowers des Rolling Stones.

La femme aux bagues : Mes bagues en fleurs ne sont pas pour les jeunes filles de Proust.

Arsène : Pourquoi ?

La femme aux bagues : Elles vont mieux aux femmes mûres, mes préférées.

Arsène : Donc vous n’êtes pas une femme pour moi.

La femme aux bagues : Eh non.

Arsène : C’est pas mon jour !

La femme aux bagues : Vous avez déjà la bague !

Arsène : Entre une belle bague et une bonne blague, mon cœur balance…

La femme aux bagues : Une « l » les sépare…

Arsène : Avec la blague, la bague s’envole ?

La femme aux bagues : Expliquer les blagues…

Arsène : Votre bague me fait planer ; sans blague !

La femme aux bagues : Faîtes en bon usage…

C’est la sortie du métro ; la femme aux bagues part avec son sac ; Arsène pense à la colère de la femme frôlée et se souvient d’une phrase du journal du peintre Egon Schiele      « Apprendre à regarder doucement les gens en colère ». Regarder, pas parler. Caramba ! Encore raté ! (2)

(1) En concert au Texas en 1972, avec le taciturne Mick Taylor en retrait à la guitare solo, et les deux ludions Mick Jagger et Keith Richard devant ; Mick Taylor qui jouait avec John Mayall dans les Bluesbreakers, remplaça Brian Jones après sa mort entre 1969 et 1975.

(2) Emprunt à L’oreille cassée, 1943, Hergé, mais surtout clin d’œil à la meilleure accroche de message de répondeur du Val de Marne.

 

 

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