Appels à la pelle

À l’Arc de Triomphe, samedi matin, le touriste inconnu vient saluer la flamme du soldat du même nom ; un policier dit à son collègue : « C’est bien qu’ils réservent pour monter ; comme ça ils ne sont pas 5000 à faire la queue ». Même sans réserver, peu de monde se pacifie l’âme autour de la flamme…

 

Le touriste inconnu n’a pas réservé ; il lit la plaque de l’Appel du 18 juin 1940 (1) du Général de Gaulle ; il dit à sa femme : « Quel texte (2) ! T’as vu les accroches, les relances, la montée en puissance… J’essaie… » Elle lui répond : « Oui, chéri, vas-y lis, je t’enregistre. » Elle lève son pouce.

 

Ensuite, ils regardent La Marseillaise ; la sculpture de François Rude montre le départ des volontaires en 1792, répondant à l’appel patriotique. Elle sait que l’hymne national (1) appelle ceux qui l’entendent à se dépasser, même si les joueurs de foot de l’équipe de France, les médaillés olympiques, ne voient plus le sang des vaincus abreuver nos sillons, ou couler sur les parkings des supermarchés, ou alors ce sont d’autres vaincus…

 

Il réajuste son masque et pense à l’appel à la prudence que représente le port du masque. Il tente un jeu de mot :           « Prudence, prude-danse » ; elle baisse son pouce, mais il insiste : « Prude, d’une pudeur affectée et outrée, pudibond, dont la libido ne fait pas de bond ; triste danse, sans désir, ni folie, plus rien ne tangue… Oh malheur ! » ; elle relève son pouce et colle son masque contre le sien, leurs langues déchirent le tissu… Les policiers regardent ailleurs.

 

Ce baiser ne peut pas durer, quel dommage ! Il faut être prudent et attendre que le covid attaque et qu’on le tue, ou qu’il s’en aille ; ça lui rappelle Le Désert des Tartares de Dino Buzzati qu’il a lu pendant le confinement : un jeune militaire veut aller dans un fort, attendre les Tartares, pour faire partie des héros qui leur résisteront… Dans ce fort, on attend l’appel d’un destin qui tarde à venir…

 

D’autres n’attendent plus rien, sont déjà vaincus ; elle repense à ce qu’elle a vécu la veille – elle ne lui en a pas encore parlé – dans le couloir du RER C : un sdf, allongé dans son carton, a crié deux fois, longtemps ; elle s’est éloignée, puis a fait le 15 :   « Il faut venir ! » ; le SAMU voulait en savoir plus ; elle s’est approchée de lui : « Monsieur, le 15 vous demande si vous avez besoin d’aide ». Le sdf lui a répondu : « Non, ça va, merci, c’est pas la peine. »

 

Elle ajoute : « Il m’a parlé calmement ; j’étais troublée. Son cri était sauvage ; j’étais incapable de lui demander pourquoi il avait crié ; le va et vient du cri à la voix posée me sidérait… Que devrais-je vivre pour crier comme lui ? »

 

Il la regarde : « La guerre comme le soldat inconnu ? » ; elle ajoute « Ou la folie ? » ; il en rajoute « Ou les deux ! ». Elle lui dit : « T’es con, c’est pas drôle ; tais-toi et pense ! ».

 

Après une minute et demi de silence, il propose d’aller racheter des masques, dessiner leurs bouches dessus, pour s’embrasser plus facilement ». Elle lève son pouce et dit :     « Tu vois quand tu veux ! ».

 

(1) Dans Mémoires de Guerre, de Gaulle explique les circonstances de l’appel, lorsqu’il est parti pour Londres le 16 juin 1940, après la démission du Président du Conseil, Paul Reynaud. « La première chose à faire était de hisser les couleurs. La radio s’offrait pour cela. Dès l’après-midi du 17 juin, j’exposai mes intentions à M. Winston Churchill. Naufragé de la désolation sur les rivages de l’Angleterre qu’aurais-je pu faire sans son concours ? Il me le donna tout de suite et mit, pour commencer, la B.B.C. à ma disposition. Nous convînmes que je l’utiliserais lorsque le gouvernement Pétain aurait demandé l’armistice. Or, dans la soirée même, on apprit qu’il l’avait fait. Le lendemain, à 18 heures, je lus au micro le texte que l’on connaît. »

 

(2) Lien pour écouter l’appel : https://www.youtube.com/watch?v=uRo-3Y1MdwQ

 

(3) Le Chant de Guerre pour l’Armée du Rhin, composé par Rouget de Lisle, en 1792, à la suite de la déclaration de guerre de la France à l’Autriche, est nommé La Marseillaise, car chantée par un bataillon venu de Marseille. Elle devient l’hymne national, en 1879, sous la IIIe République ; une version officielle est adoptée en 1889, pour le centenaire de la Révolution.

 

 

 

 

 

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