Ah, la barbe !

©Sylvie Rozenfeld

Elle lui a encore dit : Tu devrais te raser. Cela fait un moment qu’Arsène y pense depuis le reconfinement, car sa barbe le gratte, mais il ne se décide pas. Il aimerait aller chez le barbier qu’il connaît ; pas à cette heure. Il est tard.

Il sort se promener dans la rue ; il pleut, ça lui est égal ; des silhouettes sont fuyantes sous des parapluies. Il marche, au début il pense à elle.

La chanson de Bertrand Belin Que tu dis  lui revient en tête : un type voit arriver sur un chemin quelqu’un alors qu’il n’attendait plus personne, enfin c’est ce qu’il prétend « que tu dis, que tu dis, tu attends bien quelqu’un ».

Il aime cette chanson, mais lui, c’est le contraire, il attend souvent, tout le temps presque, trop ; il attend trop…

Un type arrive en face de lui ; il a une barbe vraiment longue qui fait un effet bizarre avec le masque, en débordant de partout. Il l’aborde : Bonsoir, je regarde votre barbe ; la mienne est beaucoup moins fournie, mais elle me gratte.

Le type : La mienne ne me gratte pas ; allez, bonsoir.

Arsène fait un signe de tête, sans répondre ; le type s’éloigne.

Un autre type arrive, barbu aussi, presque autant que le premier ; il ne lui ressemble pas, ce n’est pas son frère.

Arsène : Bonsoir

Le second type : Votre barbe, elle vous gratte ?

Arsène : Oui, mais comment le savez-vous ? Je ne me suis pas gratté pas devant vous.

Le second type : Toutes les barbes grattent ; la plupart des gens n’en parlent pas ; moi j’en parle. Vous comptez la garder ?

Arsène : Non, je vais la raser demain ; pour surprendre ma femme.

Le second type : À mon avis ça ne suffira pas, sinon elle vous aurait déjà entrainé dans la salle de bain en sortant le rasoir…

Arsène : Ah bon ?

Le second type : J’ai connu une femme qui me rasait parfois ; c’était le signal qu’elle avait envie de moi. Le problème, c’est que parfois, je n’étais pas du tout disposé.

Arsène : Moi je préfère aller chez le barbier ; il me malaxe le visage avant, c’est bon.

Le second type : Le barbier, j’aurais peur qu’il me coupe.

Arsène : Mon père était comme vous. Mais non, le barbier il s’y connaît. J’irai demain. Si je pouvais, j’irais tout de suite.

Le second type : J’y vais ; on m’attend ; salut !

Arsène : Salut.

Arsène remonte chez lui. Sa femme a vu par la fenêtre qu’il avait parlé à deux types.

Sa femme : T’as rencontré des types dehors. Qu’est-ce qu’ils voulaient ?

Arsène : Ils ne voulaient rien ; on a parlé, c’est tout.

Sa femme : De quoi ?

Arsène : Des trucs d’hommes.

Sa femme est curieuse, elle insiste ; Arsène se souvient de ce que disait sa mère quand elle en avait marre : Ah, la barbe !

Sa femme : C’est bien ce qui me semblait ! Tu veux que je te rases ?

Arsène : Non, pas maintenant, j’irai demain chez le barbier.

Sa femme : J’ai envie d’essayer…

Arsène : Il est tard.

Sa femme : Laisse toi faire…

Arsène s’abandonne à la caresse de sa femme sur sa joue, puis sa main se fait plus ferme, pas aussi ferme que le barbier, mais c’est agréable ; si ça se trouve elle y a été et il lui a montré… Pas poser de questions, comme chez le barbier, pas parler…

 

 

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