Abdelslam, Robespierre, Marie-Antoinette

Arsène voient vingt gendarmes avancer deux par deux, souriant, saluer 4 visiteurs qui sortent de la Sainte Chapelle et se dirigent vers la Conciergerie ; les vingt gendarmes arrivent de la Cour de Mai, où montent les marches du Palais de Justice qui abrite la Cour d’Assises ; les deux derniers de la colonne portent une glacière ; ils vont vers leur vestiaire.

Les 4 visiteurs sont perplexes :

Visiteur 1 : Je n’ai pas rêvé, les gendarmes nous souriaient.

Visiteur 2 : Ils nous ont même dit bonjour.

Visiteur 3 : Ils avaient l’air détendu.

Visiteur 4 : Avec la glacière, comme s’ils allaient à un pique-nique.

Arsène : Pas de pique-nique, juste la sécurité du procès des attentats du Bataclan en 2015, qui dure depuis 148 jours ; il va se finir le 29 juin 2022.

Visiteurs 1 : Ah mais oui, le procès ! Mais des gendarmes qui sourient, c’est bizarre.

Arsène : Des gendarment qui sourient, c’est bien.

Visiteurs 2 : Oui, même si la raison de leur présence ici n’a rien de bien.

Arsène : Un moment reste un moment.

Visiteur 1 : C’est vrai ; c’est la magie des petits moments, comme dit mon amie Facernin.

Le groupe des 4 visiteurs va à la Conciergerie ; ils voient la Salle des Gens d’Arme, la cuisine ; ils utilisent la tablette donnée à l’entrée pour remonter le temps et découvrir ce que les soldats mangeaient au XIVe siècle, comment ils s’éclairaient, les feux qu’ils faisaient dans les cheminées…

Plus loin, c’est la Conciergerie transformée en prison sous la Révolution : l’écrou, les clefs des cellules, les cheveux coupés avant la guillotine.

Soudain deux gendarmes débarquent ; les 4 visiteurs les reconnaissent.

Visiteur 1 : On vous a vus tout à l’heure dans la cour. Vous revoilà ; qu’est-ce que vous faîtes ici ?

Gendarmes 1 : On visite !

Visiteur 2 : Et ça vous plait ?

Gendarme 1 : Personnellement j’aime le patrimoine ; j’ai eu la chance de voir la « forêt » de Notre Dame avant l’incendie.

Visiteur 3 : La forêt ?

Gendarme 1 : C’était le nom de la charpente.

Visiteur 3 : J’apprends quelque chose.

Gendarme 2 : Bonne journée.

Visiteur 4 : De même.

Sur un mur, sont rappelés les grands moments et les figures de la Révolution qui commence par les États Généraux et l’apparition du Tiers État.

Arsène leur indique que le buste de Robespierre est à l’étage.

Ils arrivent devant L’Incorruptible ; sa formule est terrible, vertigineuse, révolutionnaire : « La vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. »

Dans la salle d’avant ils ont aperçu une photo de la guillotine.

Arsène : Avant, il y avait la vraie lame ; elle a été enlevée. Depuis l’abolition de la peine de mort par le président François Mitterrand en 1981, la guillotine est remisée au fort d’Ecouen dans le Val d’Oise.

Visiteur 1 : Curieux qu’ils aient enlevé la lame.

Visiteur 2 : Trop dur peut-être comme vision ?

Visiteur 3 : Peur du vol ?

Dans la salle de Robespierre, il y a aussi l’accusateur public Fouquier-Tinville, qui anime le tribunal révolutionnaire où il est vain de chercher à se défendre ; dès qu’on est accusé, on est mort.

Visiteur 1 : Fouquier-Tinville, le bras qui tient la hache.

Visiteur 2 : Vous connaissez Les dieux ont soif d’Anatole France ?

Visiteur 3 : Mais plus personne ne lit Anatole France !

Visiteur 4 : Regardez à quoi il ressemble.

Visiteur 2 : C’est l’histoire d’un peintre du dimanche, Évariste Gamelin, qui devient juré de ce tribunal ; il croit en sa vertu, mais au fur à mesure des condamnations, sa compagne est excitée par le sang, et la spirale est infernale… Un vrai thriller !

Arsène : Ça donne envie !

Tout le monde descend voir Marie-Antoinette ; dans une vitrine, il y a son portrait :

Visiteur 1 : Elle a l’air vieille !

Visiteur 2 : Pourtant elle est morte à 38 ans.

Dans la vitrine, il y a un fauteuil.

Arsène : À votre avis à qui le fauteuil était-il destiné ?

Visiteur 1 : À elle.

Arsène : Non, à vous.

Visiteur 2 : Comment ça, à nous ?

Arsène : Quand ça barde, Louis XVIII fuit le royaume de peur d’être guillotiné ; en exil, il attend que son frère Louis XVI y passe, ainsi que son fils, Louis XVII, afin que le trône lui revienne, à la chute de l’Empire ; les planètes s’alignent, le voici ; il installe un petit oratoire à la mémoire de sa belle-sœur, où les visiteurs s’installent sur des fauteuils comme celui-ci.

Visiteur 3 : Louis XVIII est un lâche, mais l’effet miroir du fauteuil est une idée géniale !

De l’autre côté, une illustration montre le procès : Marie-Antoinette avance, en enfer, Fouquier-Tinville derrière elle.

Visiteur 4 : Il a une tête digne de Klaus Kinski dans Aguire, la colère de Dieu…

Visiteur 2 : Est-elle trop stoïque à ses yeux ?

Les 4 visiteurs quittent la Conciergerie ; sur le boulevard du Palais ils tournent vers la droite pour aller prendre le RER C ; ils repassent devant les grilles du Palais de Justice.

Arsène les rattrape et leur donne une tablette qui marche à l’envers de celle de la Conciergerie ; elle avance dans le temps : le procès vient de finir et c’est le verdict du 29 juin 2022.

Aucun des prévenus n’est acquitté ; les peines vont du maximum à des peines légères pour ceux qui n’ont quasiment rien fait, ignorant en tout cas ce pourquoi ils le faisaient.

Parmi les lourdes peines, Salah Abdelslam, figure centrale du procès, même si de nombreux autres terroristes étaient dans le box avec lui, est condamné à la prison perpétuelle incompressible.

Visiteur 1 : Quel est le sens de cette peine une fois la peine de mort abolie ?

Arsène : L’exemplarité ; je crois, pourtant que les cerveaux brûlés des terroristes sont insensibles au danger qu’ils courent ; quand la bombe ne se déclenche pas, c’est lié à une défaillance technique, pas à un sursaut d’humanité…

Visiteur 1 : J’ai appris que Salah Abdelslam était surveillé en permanence par 2 caméras dans sa cellule…

Visiteur 2 : Pour éviter qu’il ne se suicide avant le procès.

Visiteur 3 : Cela va-t-il changer ?

Visiteur 4 : J’espère ; la raison a disparu et c’est inhumain.

Visiteur 1 : Il faut qu’on y aille, merci pour tout, mais une question, que faisiez-vous là ?

Arsène : Je faisais un repérage pour une visite ; nous avons échangé ; je crois aux échanges, comme le prêtre du film de Nani Moretti, La messe est finie. Je crois à la vertu des échanges. Nous n’échangeons pas assez.

Visiteurs 4 : Vous avez profondément raison.

Il s’en vont ; Arsène reste. Il pense à la raison première du procès, les victimes ; indifférentes, certaines à ces peines, leurs vie à reconstruire, ailleurs.

Elles ont eu beaucoup d’échanges pendant le procès ; certaines ont témoigné dans le journal Le Monde du 1 / 7 :

Arsène trouve troublant que pendant 10 mois, des visiteurs soient venus se divertir à la Conciergerie, à coup de Moyen-Age et de Révolution, tandis que se tenait, à deux pas l’un des plus grands procès du XXIe siècle.

Mais surtout, comme ils ont échangé, les 4 visiteurs et lui, justement sur le manque d’échange, il s’aperçoit que les parties civiles du procès ont beaucoup échangé entre elles ; c’est donc le chaos qui stimule l’échange, comme si l’autre est moins nécessaire quand tout va bien… Mais depuis quand tout va-t-il si bien ?

  1. Le regardeur professionnel se fait ici auditeur…. Alors que le procès V13 se termine, les rencontres au gré d’un repérage lui inspirent un sentiment de futilité du regard,(son métier), en comparaison de ce que les témoins-victimes du drame racontent comment leur présence au procès a modifié de façon inattendue, leur moi profond tel qu’il s’était construit dans les années qui ont suivi l’attaque.
    Etonnant ! Nous ne pouvons qu’écouter sans trop comprendre, peut-être oserai-je ajouter …. »heureusement »?

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