Se souvenir d’avoir vécu ça
« Frères humains qui après nous vivez, N’ayez les cœurs contre nous endurcis, Car, se pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercis »
Dans La ballade des pendus, Villon nous dit d’adoucir nos cœurs pour nous préserver de l’indifférence…
Et si l’humanité des pendus valait mieux que l’inhumanité des mannequins qui se défilent devant le risque d’une expression de visage qui les chasserait du défilé, sinon du paradis.
Ce défilé de mode organisé par Louis Vuitton au musée d’Orsay, pour sa collection automne hiver 2022-2023, ressemble à tant d’autres, malgré l’illusion d’un « moment esthétique ».
Où passe l’âme des mannequins, qui avancent en cadence, les yeux dans le vague ?
Leur sourire ferait-il de l’ombre à la lumière que le créateur souhaite sur sa collection ?
« Faire le boude » est l’expression consacrée pour ne pas risquer de sourire, ce qui pourrait rendre le vêtement accessible… Non ! Qu’il reste un rêve !
Certains créateurs prétendent qu’un vêtement tombe mieux sur un corps sans formes…
Alors, pourquoi ne pas prendre des « valets de nuit » comme ce modèle rigolo de chez Pylônes (illustration) ?
Parce qu’on n’est pas là pour rigoler !
Soutenant leurs corps qui portent-manteaux, les jambes des jeunes femmes avancent le long d’invisibles axes ; prennent des virages sans que ne crissent les semelles ; et toujours les pommettes maquillées creusent leurs visages hâves…
Gargouilles verticales où coule les larmes de mode ; crieront-elles un jour leur mal de vivre comme le pape Innocent III revisité par Bacon ?
Pas question d’émettre un son, comme des muses désabusées du musée !
C’est en coulisses, qu’elles se lâchent :
– T’as vu le gros à lunettes mauves ?
– Et l’autre, en veste à rayures noires et or, qui s’est mis un doigt dans le nez à mon passage !
– Deux vieilles liftées ont gloussé devant moi ; un jour je les éclaterai !
– Je les connais, elles viennent à chaque fois ; des nazes !
– Eh bien moi…
– Eh bien toi ?
– J’ai l’âme rieuse !
– Qui c’est ?
– Un type cool, dans les 22, cheveux rouges, raie au milieu, une bague rose, une autre violette ; il m’a souri au premier passage ; au deuxième, il m’a souri plus fort ; au troisième, il m’a marqué son tel sur une grande feuille ! C’est la fête dans ma tête !
Cet air de fête existe déjà dans Au Bonheur des Dames, le roman de Zola, paru en 1883, qui nous plonge dans l’atmosphère festive du premier Grand Magasin.
Sur fond d’intrigue amoureuse entre le directeur et une vendeuse, la « Machine Mode » tourne à plein : les femmes se pâment, les âmes rient, les mains caressent les étoffes, la caisse s’ouvre, l’argent s’envole…
Les femmes n’achètent pas seulement pour se faire belles, mais pour se souvenir d’avoir vécu ça.
Wooh ! Tu y vas carrément mais tu as raison. Je n’oublie pas que tu m’as fait découvrir Bacon. Amitiés. François
Les connes rient,
Les Ânes rient et
Les armoires rient
Mais Paris !
Ballade des penderies aux dix formes errantes et plus à la rigueur.
Ces âmes usent les musées qui restent de marbre.
Les rêves rient de ces plaisanteries de galanterie et d’avaries de sourire…
Merci encore pour vos récits bien écrits
« Faire le boude » on comprend très bien ce que ça veut dire dans la scène du début du film « Sans filtre » ou on nous explique que pour vendre des fringues bas de gamme les mannequins doivent sourire, alors que la gueule s’impose quand le vêtement est cher !