Roi de rien
Vous revenez de voyage. Rapportez-vous des trésors, des photos, des souvenirs, une impression de déjà vu, ou celle plus belle de merveilleux moments ?
Le douanier vous demande :
– Avez-vous quelque chose à déclarer ?
Vous ne répondez pas, mais vous le regardez, l’air ravi ; il est surpris de vous voir dans un tel état de félicité :
– Que vous est-il arrivé d’extraordinaire ?
– Rien. Je suis zen.
– Vous revenez du Japon ?
– Non, du palais de Tokyo
– Ah bon ! Qu’est-ce qui se passe là-bas ?
– Il y a l’exposition L’aventure des détails de Jean-Michel Alberola ; j’ai vu sa série de peintures Roi de rien.
– Comment peut-on être roi de rien ? demande le douanier habitué à regarder des visas de pays où les rois le sont de quelque chose.
– Il suffit que l’artiste nomme ainsi son œuvre.
– Et à quoi ressemble ce Roi de rien ?
– Un type est assis pieds nus, on ne sait pas où, on ne le voit jamais en entier.
– Avez-vous autre chose à déclarer ?
– Moi non, mais l’artiste a écrit sur un panneau à l’entrée « Tout mon travail consiste à déplacer très légèrement ce qui existe déjà… »
– Très légèrement ?
– Très légèrement.
– Ça suffit ?
– Vous savez, déplacer très légèrement est un énorme travail, tenez, vous par exemple, si vous regardez les passagers très légèrement autrement.
– C’est pourtant vrai ; alors ce Roi de rien vous a légèrement atteint ?
– Sur la première peinture, il a une écumoire sur la tête, sur une autre, une lunette astronomique l’observe, ailleurs dans un coin on devine Louis XVI, ailleurs encore quelque chose de plat lui écrase doucement le visage, enfin sur la dernière peinture de la série, il flotte dans la toile, comme en apesanteur… Voilà, ce type flotte, et je flottais quand je le regardais.
– Ce n’est pas si mal pour quelqu’un qui n’avait rien à déclarer.
– Vous êtes bien placé pour savoir qu’il faut se méfier des gens qui n’ont rien à déclarer.
– Si vous saviez ce qu’on voit parfois.
– J’imagine. Le jour où celui qui refuse de déclarer son trésor de voyage se laissera très légèrement atteindre par ce Roi de rien à moitié caché dans la toile ; le jour où il comprendra que la vraie valeur d’une peinture n’est pas marchande, mais poétique : se glisse-t-elle mine de rien là où règne le regardeur, dans son jardin secret ?
– Ce jour-là on aura moins de boulot à la douane !
– Ce jour-là il comprendra que le roi du royaume à atteindre est un roi de rien.
Bruno de Baecque
Bonjour
Des visites à St Denis ?
Cela m’intéresse…
Axelle
Beau texte l’ami regardeur/montreur d’oeuvres. Tu donnes envie d’Albérolater au Palais :))
Art-mitiés
Ivan
tu devrais soigner l’interlignage et le corps de la typo pour que ton texte soit plus facile à lire.
On sera à Paris du 20 au 23 avril, j’espère que la dite expo y sera toujours , tu ma mis l’eau à la bouche
bises J-M
moi, j’aime bien l’aspect concentré…
et j’aime ce texte