Recrudescence d’incandescence
Un beau jour, bien avant la nuit, près d’un lac, surgit une coulée de bronze, fendue, que surveille une chouette. Cette œuvre, abstraite de ce côté, révèle, derrière, la puissance du dieu Pan.
Il est assis, ses bras repliés comme des fagots, ses cuisses velues, ses cornes de bouc… sa chouette.
Dans ses mains, sa flûte, coupée dans le bouquet de roseaux que la nymphe Syrinx, poursuivie par ses ardeurs viriles, avait choisi comme nouvelle apparence, aidée par d’autres nymphes.
Pan, dieu de la nature, ne maitrise pas la langue française ; il prend les roseaux pour le pluriel de « rose, oh », Syrinx, sa fleur qu’il voit partout ; il devient dingue !
Amoureux, le paon fait la roue ; malheureux, Pan fait la flûte, qui donne le blues…
Fanis Sakellariou (1916-2000), le sculpteur, est grec ; son œuvre, a été offerte à la Ville de Paris, par le comité des scientifiques grecs en Europe.
Dans le parc des Buttes-Chaumont, elle est installée en bas de la grande pente, traversée par un sentier en dur ; le cartel est fixé du côté du torrent qui coule au milieu des rochers en béton ; les curieux regardent le sexe vigoureux du dieu – pas du pipeau ; de quoi troubler notre belle jeunesse !
Vue de profil, la sculpture est un dialogue entre la force animale de la jambe et l’esquisse du bras qui se fond dans une créature marine ; Pan est le dieu d’une nature totale…
Présence discrète dans ce parc aménagé au Second Empire sur le site d’anciennes carrières de Gypse, cette œuvre rappelle que l’art est un artifice qui accélère en nous la sensation sauvage, peu importe où nous la ressentons, dans une vraie forêt, dans des fonds marins…
L’artiste n’est pas un chroniqueur, mais un poète qui prend un tison dans le feu de la création et nous le tend : supportons-nous la brûlure ?
Mais qu’est-ce qui brûle, notre cœur ou notre âme ? John Trudell répond dans cette chanson au refrain sublime :
« My heart doesn’t hurt anymore
But my soul does, maybe
That’s what souls are for, to
Take the hurt the heart can’t take
The heart can’t take »
Que faire face à cette recrudescence d’incandescence ? Y aller molo pense la chouette qui s’envole vers le feuillage jaune d’or du Gingko Biloba, où se repose un corbeau, sans fromage, ni renard en vue.
« Seul ce qui brûle » est le titre d’un roman de Christiane Singer (prix de la langue française 2006) inspiré d’une nouvelle de Marguerite de Navarre (XVIe siècle), qui raconte l’histoire cruelle et sublime d’une passion dévorante. Philosophiquement l’auteur en profite pour nous convaincre que seul ce qui brûle vaut la peine d’être vécu : nos passions, mais aussi nos combats pour ne pas vivre anesthésiés, ne pas mourir sans avoir vécu… et tout ça pour 4€50 seulement !