L’empêcheur de regards

Pour voir une œuvre d’art, le plus simple est d’aller dans un musée. Le plus simple pour ceux qui peuvent se déplacer, ce qui est impossible pour les détenus, catégorie visée par l’appellation « publics empêchés ».

 

Pour aller vers ces « publics empêchés » certains grands musées organisent des évènements. Mardi 22 janvier Philippe Mayaux, plasticien français né en 1961, est venu présenter aux détenus de la maison d’arrêt d’Osny, Val d’Oise, Les 4 Z’éléments : air, eau, feu, pierre, peinture huile et acrylique. Il était accompagné par un conservateur du Centre Pompidou qui a présenté l’artiste, et son œuvre, et ainsi donné à la quarantaine de détenus sur 850, du savoir pour mieux voir pendant ce moment privilégié. Donc 5 % des détenus n’a été empêché par rien pour assister à ce moment d’évasion par l’art.

En 1969, quand Johnny Cash a fait son concert à la prison de San Quentin, la salle était pleine.

 

Il y a deux ans Le Louvre a organisé avec la maison d’arrêt de Poissy, un événement de même nature que le Centre Pompidou – proposer aux détenus un moment d’évasion par l’art – mais complètement différent dans la manière de procéder : pendant 2 mois 10 reproductions photo d’œuvre d’art de très haute définition étaient accrochées sur les murs de la cour. Donc pendant 2 mois, à chaque promenade, chaque détenu pouvait regarder une ou plusieurs reproductions d’œuvres d’art. Plusieurs fois, plusieurs regards… Voilà un moyen de ne plus être empêché de voir.

 

Qui joue à venir voir 10 œuvres 3 fois de suite, au Louvre ou à Beaubourg, parmi les gens libres de leur mouvements ? Personne.

 

L’empêcheur de regards est ce qui empêche le pêcheur de regards de lancer sa ligne.

 

La pêche est bonne dans l’esprit du regardeur quand il voit remonter un poisson de ses profondeurs tandis qu’il regarde l’œuvre.  Antoine Blondin a écrit : « Je suis resté au seuil de moi-même car à l’intérieur il fait trop sombre ». L’œuvre offre un peu de liberté à celui qui la regarde sans se sentir empêché d’ouvrir les yeux dans ses profondeurs. Tout cela prend du temps, demande de la patience, comme la pêche…

 

Bruno de Baecque

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