Le commissaire qui parle à l’oreille des objets

Une expo de plus sur le Surréalisme ? Beaucoup mieux que ça ! Le Surréalisme et l’objet est une expérience qui vaut profondément le détour. Le Surréalisme est toujours une invitation à nager en eaux profondes : c’est possible dans cette expo, au Centre Pompidou, qui  avec ses airs de Cabinet de curiosités, révèle que la muséographie peut devenir une œuvre à part entière.

À l’entrée Obstruction de Man Ray est composé de 63 cintres. Le titre induisait qu’ils étaient placés à hauteur d’homme pour boucher le passage ; ils se retrouvent sur un mobile au-dessus d’une valise ajoutée par le commissaire Hottinger : contient-elle ce que le voyageur emporte au pays des merveilles ?

 

Des vidéos géantes de trois œuvres dont La boule suspendue de Giacometti et Le soulier de Gala de Dali sont réalisées avec « Les moyens techniques  du service culturel ». La boule avec une entaille qui évoque une raie des fesses et l’escarpin d’où sortent deux cornes en pierre, tournent lentement, et nous envoûtent. Que se passe-t-il ? Ce que la petite taille de ces œuvres ne suffit plus à faire, pour nous plaire, les effets spéciaux s’en chargent. Le Surréalisme doit-il s’adapter pour nous faire encore de l’effet ?

 

Inquiétante question à laquelle sur le mur droit de l’allée, les Photos sculptures d’Alina Szapocznikow (1926-1973) répondent, car cette merveille d’œuvre qui sort de rien a entendu l’appel d’André Breton à fonder une « physique de la poésie ». L’idée géniale de l’artiste est d’avoir senti qu’elle « produisait » en mâchonnant des chewing-gums !

 

Dans la salle suivante, les vitrines sont disposées en carré ; au fond à droite, voilà la Caresse de Giacometti. Son reflet s’enfonce de vitrines en vitrines, dans deux directions, car elle est située à un angle. C’est l’expérience surréaliste de la multiplication des caresses !

 

À travers la cloison, on entend la musique de Maurice Jarre pour le film Tamanao Natural où Piccoli danse avec une poupée grandeur nature qui fait écho à l’histoire racontée sur le mur d’en face. Oskar Kokoschka aimait Alma Mahler, elle l’a quitté, du coup il a demandé à Lotte Pritzl de lui façonner un mannequin qui ressemble à Alma pour mieux supporter son absence. Au centre de la salle, trône la poupée culte de Hans Bellmer qui avait été marqué par cette histoire. Sa recomposition d’un corps impossible est sa manière surréaliste de transcender ce qui n’était à l’origine que le fétichisme d’un amant éconduit.

 

Vous rappelez-vous de l’affiche de l’expo ? C’est dans la salle qui évoque « L’expo surréaliste d’objets de 1936 » que vous trouvez l’œuvre qu’elle représente, Ma gouvernante ; des escarpins retournés et ficelés sur un plat en argent avec les talons recouverts de manchons pour un poulet rôti. Meret Oppenheim, artiste suisse, a fait une œuvre de la haine de sa gouvernante, comme Jarry, de son prof de physique, avait extrait Ubu.

 

Ma Gouvernante réalisée en 1936 annonce Tête de taureau de Picasso en 1942. Un mélange d’objets réels, escarpins, manchons, plat en argent ou selle et guidon de vélo dont Picasso dit « en un éclair ils se sont associés dans mon esprit  ». L’éclair de la vision poétique comme le dit si bien Rimbaud dans le Bateau Ivre « et j’ai vu quelque fois ce que l’homme a cru voir ». Quelque fois, pas toujours, sinon le surréalisme deviendrait le réalisme sûr. Sûr de quoi ?

 

Dans la salle du poulet rôti, sous une cloche à fromage, une peinture de Magritte, Ceci n’est pas un morceau de fromage répond au bloc de Grès contourné, installé par terre, qui est selon la cartel, une « concrétion gréseuse dans les sables siliceux « gogotte » du Tertiaire du bassin parisien » venu des collections du Muséum d’Histoire Naturelle.

 

Pourquoi les deux œuvres se répondent ? Parce que de cette concrétion, nous pouvons dire : ceci n’est pas une sculpture. Mélange de réalité et de rêve, elle est la réalité qui met le poète en transe, réalité à laquelle toutes les œuvres de la salle peuvent mesurer leur teneur en « surréalité » telle que Breton la définit dans son Manifeste du Surréalisme.

 

Ainsi dans cette expo, Didier Hottinger fait de la « surréalité » en devenant le premier commissaire qui parle à l’oreille des objets.

 

Bruno de Baecque

  1. Salut, merci pour votre article très intéressant! Je suis de suisse et je suis intéressé par ce sujet. Grâce à votre blog que je viens découvrir au hasard d’un surf, je vais en connaître davantage. Amicalement.

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