La Joconde au stade Bollaert

« Mona Lisa, le cœur du peuple lensois bat pour toi », imprimée sur une immense bannière, accompagne un tee-shirt hors gabarit de La Joconde dans les gradins du stade Bollaert-Delelis (1), le 10 février 2018, juste avant le match de foot de ligue 2, entre Lens et Valenciennes.

 

Tout part d’une question de Françoise Nyssen, ministre de la Culture et de la Communication, lors de ses vœux aux acteurs culturels : « Pourquoi, par exemple, le Louvre ne se séparerait pas provisoirement de La Joconde ? »

 

Dans la foulée, Sylvain Robert, maire PS de Lens, écrit au président de la République, une très belle lettre (2), pour qu’il dise oui au voyage de La Joconde au Louvre Lens.

 

Enfin, juste avant le coup d’envoi de la rencontre, des milliers de fans Sang et Or, réunis dans les tribunes latérales Marek et Xercès, brandissent des feuilles jaunes et rouges et ce tee-shirt géant de La Joconde

 

Est-ce une bonne idée que La Joconde aille au Louvre-Lens ?

 

La grande réussite du Louvre-Lens est La Galerie du Temps : les visiteurs évoluent au milieu de 200 œuvres qui ponctuent par petites touches, 5000 ans d’histoire de l’Art… et de géographie, si l’on fait attention aux origines des œuvres. C’est passionnant !

 

La Galerie du Temps est un espace lumineux, calme, propice à la contemplation, gratuit !

 

Que ce passerait-il si La Joconde venait dans la Galerie du Temps ? Ce serait une cohue indescriptible ! La Joconde est une « puissance symbolique » selon les mots du maire de Lens ; symbolique d’un marketing redoutable !

 

La Joconde au Louvre-Lens inciterait toute la région à se déplacer ; de nombreux voyages touristiques internationaux se détourneraient vers le nord ; l’affluence sur l’A1 serait perceptible avec la queue au péage…

 

En dehors des problèmes que pose la conservation de l’œuvre – le panneau de peuplier est fragile – la vraie fragilité est ailleurs : celle de l’ouverture du regard, que La Joconde n’a jamais favorisé.

 

La liberté guidant le peuple, de Delacroix, fut la première œuvre en tête de gondole au Louvre-Lens ; elle est revenue depuis à la maison mère. La Joconde n’est pas une tête de gondole, elle est Venise à elle toute seule !

 

Cette histoire rocambolesque dans les désirs qu’elle révèle,  de la ministre, du maire, des fans de foot, montre le paradoxe des collections permanentes des musées : le meilleur endroit pour regarder l’art n’est pas le plus fréquenté, parce que le regard sur les œuvres d’art – et tout ce qu’il déclenche d’intime – est beaucoup moins mis en valeur par les médias que les œuvres phares.

 

En foot, l’amateur fait son miel de morceaux de matchs qui sont l’âme du championnat ; l’âme du Louvre-Lens est dans la Galerie du Temps où il est bon de flâner au milieu des œuvres dans un voyage spatio-temporel…

 

(1) Félix Bollaert, directeur commercial de la Cie des mines de Lens, décida de la construction du stade en 1931 ; André Delelis, maire de Lens et ministre du gouvernement Mauroy, sauva le stade lorsque les houillères s’en déssaisirent.

 

(2) Lettre du maire de Lens

http://www.lavoixdunord.fr/308321/article/2018-01-31/le-maire-de-lens-ecrit-au-president-pour-inviter-la-joconde-au-louvre

 

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