Il esquive au dernier moment
Lomokatogan installe les tasses dans le casier de la machine à laver de La Gitane ; ses doigts répartissent les tasses d’expresso et d’allongés, plus grandes ; il rajoute le petit casier pour les soucoupes, en glisse une dizaine dedans, comme un joueur professionnel qui bat les cartes…
Arsène dit son admiration ; Lomokatogan le regarde ; ils se connaissent.
Lomokatogan : C’est automatique !
Mais il est content des mots d’Arsène.
Lomokatogan : C’est gentil, merci.
En dehors des brèves, ces mouvements, à la longue, ravissent Arsène qui pense à Gilbert du Mistral.
Gilbert a le geste ample quand il dépose chaque tasse dans le panier ; même panier que celui de La Gitane ; pas le geste.
Gilbert le prolonge, pour serrer la main d’Arsène ; il esquive au dernier moment ; rire bref. Superbe !
Il faut croire au comptoir ; tôt le matin, ces scènes sont la vie ; l’expression de l’expresso.
Arsène : Tu as bien dormi ?
Gilbert : Oui, et toi ?
Arsène : Ça va.
La main de Gilbert va serrer celle d’Arsène ; elle esquive ; chaque matin, sauf quand Gilbert n’est pas là.
Oui, les journaux ; on regarde une photo, on discute un peu ; la main ne discute pas ; elle avance ; elle esquive ; Arsène va la serrer, hop, Gilbert la remonte ; sous la main, brille le soleil du comptoir.
Merci…ce sont des événements rares et imperceptibles, ce qui se passe entre le recto et le verso d’une feuille de papier, plaisant de la partager…
« Voir l’invisible », c’est bien le crédo de Versus… Voir que dans une manif où les gens manifestent leur mécontentement, où ils sont là parce qu’ils sont inquiets, je les vois heureux, heureux d’y être,d’y être aussi nombreux sans doute, aussi solidaires, sans se connaître ils se reconnaissent, souriants et blaguant à qui mieux mieux, y compris sur les pancartes…. Mais viens donc voir Manu !
Moi, je préfère les mains de Maîtres… ou les mains baladeuses !
Elles sont plus expertes !