L’énergie spirituelle

La prière est un film de Cédric Khan actuellement sur les écrans. Un jeune ex-tox arrive dans une communauté chrétienne, ou d’autres ex-tox vivent ensemble en adhérant à une vie collective : élagage, taille de bûches – il fait froid, on est en montagne – marche en montagne, chansons à la guitare, prières… Le nouvel arrivant n’est jamais seul, même pas 5mn, toujours avec un membre de la communauté, désigné pour être avec lui. Notre héros, très fermé, joué par Anthony Bajon (1), va-t-il tenir ?

 

La discipline de la communauté est stricte pour aider à se sortir d’une vie mal emmanchée à cause de la came grâce aux autres qui aident à rester dans le collectif protecteur, le temps qu’il faut pour être capable, peut-être, de voler de ses propres ailes.

 

Mais l’amour de la communauté, sans l’énergie de rester là, dans la course, dans la vie, à s’accrocher à ce qui vaut la peine, ne suffit pas ; il faut croire, ou sans croire, faire le minimum exigé, mécaniquement, accepter les rituels, même si au début c’est très dur…

 

La discipline pour être suivie, supportée, suppose d’être clair avec soi-même. Bien vécue, elle peut être transformée en énergie spirituelle, comme dans les communautés monastiques (2).

 

Le film va plus loin : celui qui a besoin de discipline pour se sortir de la merde où il était, est-il capable à un moment, de prendre la tangente si elle se présente pour faire ce à quoi il aspire vraiment, sous réserve qu’il s’en rende compte ?

 

Il faut qu’il soit malin, qu’il sache jouer des situations ; est-ce qu’il triche ? Non, il avance ! N’oublions pas le vers de la chanson de Bashung Fan :

« Si je me sens mal c’est que je vais bien

Parce que qu’avant attention je sentais plus rien »

 

À quel moment, avec quelle intensité, le héros est-il capable de sentir ce qui lui arrive ? Une fois qu’il a senti, comment peut-il réagir, agir, vivre, découvrir la sensualité ?

 

Le film montre les accélérations du héros, comme si la seule façon de plonger dans l’existence, que l’on vienne de la came ou d’une absence de vie, liée à une incapacité à oser, était forcément d’aller à fond dans la discipline – on appelle cela le travail, mais, il n’y pas de travail intéressant sans discipline – puis de prendre la tangente…

 

Le top départ de cette course du côté d’ailleurs, aussi vertigineuse qu’unique, n’est donné que par soi-même : plus on court vers la liberté, plus la foulée est légère…

 

La liberté de la tangente n’est accessible qu’à celui qui est capable d’y aspirer ; le frère qui aide le héros se sent moins libre, moins fort que lui, alors que c’est grâce à lui que le héros se libère (3).

 

La prière propose un regard intense, ponctué de sourires, sur la discipline, si mal comprise dans la vie moderne, dominée par le Smartphone (4). Les moines, hypoconnectés, et les militaires, hyperconnectés, s’astreignent à une discipline pour des raisons apparemment opposées : vie contemplative ou efficacité.

 

La vie contemplative est efficace dans la discipline qui elle-même permet une bonne connaissance de son corps, condition de la méditation.

 

La méditation permet, sinon de contempler son corps, de l’accepter tel qu’il est ; la prière est un exercice spirituel qui se pratique mieux avec un corps sain, comme l’écrit le poète Juvénal du I-2eme siècle dans sa 10ème Satire « Mens sano in corpore sana » (5).

 

Prier pour commencer. Pas prier pour voir comme au poker, non, prier, pas miser. Prier comme un exercice, un rituel (6), en suivant une discipline, et laisser toutes les couleurs de la vie apparaitre…

 

(1) Joué par Anthony Bajon qui a reçu l’Ours d’argent à la Berlinale 2018 pour sa prestation.

 

(2) Comment peut-on être efficace dans la vie contemplative ? Les moines produisent de l’énergie spirituelle, aussi palpable que n’importe quelle autre énergie et je ne parle pas de la production de poterie, d’icône ou de miel… Je parle d’énergie pure, qui éclaire spirituellement comme une ampoule éclaire une pièce. J’en connais un rayon, ma sœur est moniale.

 

(3) Peut-être le frère que le héros le considère comme son père, trouvera-t-il l’ouverture dans La Prière II ?

 

(4) Le Smartphone permet d’ouvrir toutes les portes d’un couloir sans fin et dont les pièces ouvrent elles-mêmes chacune sur un couloir du même type ; virtuellement c’est fascinant ! Réellement, ce serait épuisant ; déjà dans le film Alphaville de Godard, 1965, avec un seul couloir – de la Maison de la Radio – jaillit l’absurde, quand Eddie Constantine en ouvre toutes les portes…

 

(5) Un esprit sain dans un corps sain.

 

(6) Selon Larousse, « un rituel est un ensemble d’actes, de paroles et d’objets, codifiés de façon stricte, fondé sur la croyance en l’efficacité d’entités non humaines et approprié à des situations spécifiques de l’existence. » Toujours cette croyance en l’efficacité d’une puissance spirituelle que l’on retrouve dans le rituel religieux de Pâques ; dans les rituels sacrificiels avec des objets aujourd’hui considérés comme appartenant aux Arts Primitifs, selon l’esthétique occidentale, notamment cultivée au musée du quai Branly, alors qu’à l’origine ce ne sont pas des œuvres d’art qui non pas été réalisées par des artistes ; dans les rituels maçonniques aussi précis que méconnus du grand public qui se contente de fantasmer ; dans le rituel du gâteau d’anniversaire avec les bougies que le héros, l’héroïne du jour, souffle tandis que ses proches chantent « Joyeux anniversaire… ». Le rituel dégage sa propre énergie, ce qui nous renvoie à la note (4).

 

 

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