Coiffeur pour hommes

Le Passage Brady, à Paris, dans le 10ème arrondissement, a été percé en 1828 (1). On y trouve des restaurants, des épiceries, des coiffeurs indiens, dont Ajay Coiffure, coiffeur pour hommes et enfants. Habitué des lieux, je m’y fais couper les cheveux depuis 10 ans. Mercredi dernier, j’ai demandé la totale, cheveux et barbe.

 

Nous convenons en langage des signes qu’il me laisse un centimètre et demi. Je ne vais pas chez le coiffeur pour la conversation ; la dernière séance parlante a eu lieu chez Jean-Louis David, avec une très charmante jeune coiffeuse, réfugiée bosniaque, qui me raconta la guerre.

 

Ce moment inoubliable, indépassable, me donna envie de passer à autre chose, et depuis, j’aime que mes mèches tombent en silence.

 

Chez Ajay, mes cheveux sont couverts de vapeur d’eau avant d’être séchés, vigoureusement. J’avais oublié cette vigueur ; c’est le patron.

 

Peigne et ciseaux s’activent, sans tondeuse ; il travaille à l’ancienne.

 

Et c’est la barbe. Il y a longtemps, ma mère, lorsqu’elle était énervée, disait : « Ah, la barbe ! ». La mienne a un mois et demi. Il me met la tête en arrière en appui sur un coussinet.

 

Son blaireau trempé dans l’eau masse mes poils. Il appuie. Avec les cheveux, la pression n’était pas si forte. Je suis dans les mains d’un sculpteur, comme de la glaise ; il pétrit le bas de mon visage.

 

La crème à raser vient blanchir les poils attendris. Ses mains me malaxent plus doucement maintenant.

 

Elles guident le rasoir des pattes jusqu’au bas des maxillaires, puis dans le cou, que sa main tend pour mieux le présenter à la lame. Il passe d’un côté à l’autre en me faisant pivoter le menton d’un doigt.

 

À chaque fois, il essuie délicatement la lame sur une feuille de journal posée sur la planchette.

 

Passant près de mes lèvres, il les tord légèrement pour faciliter la coupe.

 

Vient la lotion à la fleur d’oranger ; il me frictionne tout le visage. Ensuite il va chercher une serviette chaude qu’il appuie. Il l’enlève C’est rapide. C’est bon.

 

C’est fini. Je me relève. Il balaye autour du siège. Je paie. On se salue.

 

(1) Le Passage Brady a toujours été coupé en deux par le boulevard de Strasbourg ; c’est le seul passage ainsi conçu, à Paris. De l’autre côté du passage – non couvert – Sommier et Fils, loueur de costumes et de déguisement depuis 1922, est une institution.

 

 

Les commentaires sont fermés.