Cigales, fourmis : groupons-nous !

Arsène relit le SMS de Nabief : elle fait de la randonnée avec des quinquas, elle en a 10 de plus, alors elle souffre un peu, mais elle veut en profiter maintenant. Arsène est troublé ; de quoi parle-t-elle ? Lui n’a la notion que de « maintenant » ; plus tard n’existe pas ; il profite de chaque situation qui se présente.

Il va souvent à la piscine. La dernière fois, il a demandé à un type de son couloir s’il comptait en longueurs ou en durée ;  « en durée quand je fais de l’apnée » ; justement il était désolé « je n’ai pas trop le temps de parler » ; il surveillait le moment de replonger.

Arsène l’a vu ensuite faire des ondulations au fond avec ses palmes ; il s’est imaginé deux niveaux de nages, à la surface et au fond, pour optimiser le bassin, les jours d’affluence, avec cette indication à l’entrée de la piscine : « La surface est complète, il reste des tickets pour nager au fond ».

Avant d’avoir rencontré le plongeur, Arsène s’était mis à compter son temps de nage à partir du jour où, sous les douches, un homme avait dit à une femme : « Je nage au moins quarante cinq minutes » ; la femme l’admirait  : « Moi, je ne fais qu’une demi-heure ». Arsène les avait remercié pour l’idée de la durée.

Il considère ces échanges, et d’autres, comme des pierres où il pose ses pieds pour traverser la rivière de sa journée qui n’est jamais tranquille.

Si seulement les situations duraient plus longtemps, mais elles ressemblent aux feux de brousse qui n’embrasent pas la savane ; la vie passe à autre chose, quand plus rien ne brûle.

Arsène relit encore le SMS de Nabief qui en profite…

© Fabienne Metzlé

En profiter, loin de la neige vierge, Arsène se souvient de la rage d’une religieuse ; il lui avait demandé comment elle priait dans ces conditions : « Quand je suis en colère, j’offre ma colère à Dieu ; il ne me demande pas de revenir quand je serai calmée ! ». Il n’y a pas de petit profit !

Soudain, ça fait tilt ! Arsène pense à la fable La cigale et la fourmi , où loin de la neige, de la colère offerte, le manque d’échanges mène à l’impasse…

Nabief ne lui parlait pas d’échange avec ses compagnons de randonnée – il y en avait forcément eu, sinon à quoi bon l’aventure – mais de leur âge qui la renvoyait au sien : « en profiter maintenant » et qui résonne dans l’esprit d’Arsène ; on ne sait jamais comment on est lu.

Cette fable, comme toutes celles de La Fontaine, est  à l’origine une fable d’Ésope, écrite au VIe siècle av. JC.

La cigale dit « avec la fierté de l’artiste dans la voix » à la fourmi, qu’elle a chanté « continuellement » l’été. Fierté ? Ne ne pas avoir invité la fourmi, sa voisine, à l’un de ses concerts, y a-t-il de quoi être fier ? Qu’elle n’y ait pas pensé, voilà le problème !

La fourmi aurait été si contente de planer, au lieu de quoi, frustrée, elle lui claque la porte au nez.

Pour la rime, La Fontaine remplace « avec la fierté… » par    « ne vous déplaise », formule précieuse du XVIIe siècle, qui signifie : pour éviter de vous fâcher ; c’est son côté accommodant ; il connait son public, la cour de Versailles !

La fable d’Ésope parle a tout le monde ! Ésope aurait du succès s’il était plus connu (1).

Nous sommes tous un mélange de cigales et de fourmis. Les uns gèrent mieux l’avenir, les autres ne jouissent que du présent ; rare sont ceux qui font les deux, mais il y en a, Arsène en connaît un : son pote Dranef, ingénieur-conteur-sculpteur-alternateur.

Cigales, fourmis, « groupons-nous et demain » (2), nous répondrons à la question posée sur la façade du Centre Pompidou : QU’Y A-T-IL ENTRE NOUS ?

(1) D’après les différents écrits à son sujet, celui-ci rapporté par l’helléniste Émile Chambry, au XIXe siècle, est savoureux : « Ésope était le plus laid de ses contemporains ; il avait la tête en pointe, le nez camard, le cou très court, les lèvres saillantes (…) ; ventru, cagneux, voûté, il surpassait en laideur le Thersite d’Homère ; (…) lent à s’exprimer, sa parole était confuse, inarticulée ». Aujourd’hui, cet anti-héros serait l’idole des ados !

2) « Groupons-nous et demain » est un extrait du refrain de la chanson mythique L’Internationale dans une version fantastique en Chine !

 

 

 

 

 

 

 

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