Chambord, conquête de l’inutile

Son escalier monte jusqu’au sommet du château ; il est coiffé d’une fleur de lys que l’on voit toujours de la même manière quelque soit l’endroit où l’on se trouve sur la terrasse ; son escalier représente l’ascension symbolique du roi vers le sommet d’où il domine la cour, et le royaume. L’ombre de Léonard de Vinci plane sur l’escalier (1).

 

Quand on monte l’escalier à double révolution, on peut se dire bonjour par les fenêtres intérieures tout en restant chacun de son côté ; on arrive sur la terrasse…

 

La terrasse de Chambord est comme un village dont les maisons aux toits pentus, sont dominées par de très hautes cheminées. On aimerait tellement qu’une des portes s’ouvre et qu’une personne nous invite pour l’apéro…

 

Actuellement il y a un chantier sur la terrasse : espérerons que les ouvriers en profitent parfois pour boire l’apéro quand il n’y a plus personne et que le château est à eux !

 

François 1er qui habitait au château de Blois, disait, lorsqu’il allait à Chambord pour y suivre attentivement le chantier, entre 1519 et 1539 : « Je vais chez moi. »

 

Pourtant, François 1er n’a pas fait construire Chambord pour y vivre, mais pour en mettre plein la vue à son ennemi de toujours, Charles Quint. L’objectif fut atteint ; l’ennemi fut admiratif – il ne vit que le donjon, c’est-à-dire l’essentiel.

 

Chambord est né d’un autre projet conçu par Léonard de Vinci, pour Romorantin, une ville située au bord de la Sauldre, un affluent du Cher ; Romorantin est à une quarantaine de km au sud est de Blois. L’idée de Léonard à Romorantin était de créer un château ouvert sur une ville nouvelle, ce que sera Versailles avec Louis XIV… Après qu’il ait passé plus de temps à Chambord que François 1er.

 

Chambord n’est donc pas une première intention : c’est un second choix, devenu un chef-d’œuvre, surgissant au milieu d’une immense clairière ; la forêt autour pleine de gibier… François 1er venait y chasser – avant le chantier du château ; Romorantin est la capitale de la Sologne.

 

Chambord est irréel, beau comme un songe ; lorsqu’on le découvre depuis la route qui vient de Blois, le sommet du château apparaît dans l’axe, et comme il est ajouré, on a l’impression de voir un masque avec deux yeux, un fantôme…

 

« Réalité, réalité, punition exemplaire » chantait Bashung dans Volontaire, l’un des titres de l’album Play blessures, réalisé avec Gainsbourg ; réalité de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, dont on voit les tours et le panache blanc, après avoir quitté Chambord, pour aller vers Beaugency.

 

François 1er fut l’un le premier « conquérant de l’inutile » avec Chambord, bien avant que l’expression ne devienne le titre du livre culte de Lionel Terray (2).

 

Était-il utile de construire ce château pour impressionner un empereur ennemi ?

 

L’esprit de la Renaissance a transcendé l’utilité, pour que s’exprime une architecture joyeuse, fastueuse, merveilleuse, au service d’un nouvel art de cour, inspiré par Le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione (3), que l’auteur avait envisagé de dédier à François 1er.

 

(1) Bien qu’il n’y ait aucune preuve, tout le monde est convaincu qu’il l’a inspiré.

 

(2) Les conquérants de l’inutile, Lionel Terray, Gallimard, 1961 ; grand classique des livres de haute montagne.

 

(3) Publié en italien en 1528. Facile à trouver en poche aujourd’hui. Une lecture passionnante, écrite sous la forme d’un long dialogue courtois, spirituel, entre quelques princes et princesses, réunis au palais d’Urbino en Italie.

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