Caresses de princesse

Il lui a caressé la main avec son pouce et chuchoté à l’oreille « You look amazing » (1) après lui avoir demandé si ça allait… Ça allait. Elle était heureuse Meghan à côté de son Harry de mari et des invités prestigieux dans la chapelle de Windsor, sans parler de la foule dehors…

 

Se sentir heureux(se) à un moment pareil suppose d’arriver à se situer soi-même dans l’événement dont on est le centre, où convergent les attentions, intentions, tensions, temps morts inévitables qui rappellent aux intéressés qu’ils sont en pleine parade, pas seulement amoureuse…

 

« Pourquoi les gens qui s’aiment sont-ils toujours un peu cruels quand ils nous parlent d’eux ? » chante William Sheller en 1991 (2) ; Meghan et Harry ne nous parlent pas d’eux, les médias s’en chargent.

 

Les reportages télé du mariage sont passionnant : la foule anglaise costumée aux couleurs nationales, avec la fantaisie qui la caractérise, prend prétexte de l’événement pour s’en donner une bonne tranche, se marrer, picoler, comme rarement depuis l’annonce du Brexit.

 

L’événement vaut plus pour l’excitation nationale, la bonne humeur qu’il suscite, que pour le passage du landau, comme dans En attendant Godot (3).

 

Henri Cartier-Bresson, lors du sacre de Georges VI, en 1938, photographie la foule qui regarde le sacre. Idée géniale, photos sublimes. Sa série montre à quoi nous ressemblons lorsque nous sommes émus, concentrés, dans l’attente d’un événement, qui déclenche en nous une cavalcade de sensations…

 

Au centre de la photo, le jeune type se soulage les cervicales d’une main et de l’autre tient ce fameux périscope que HCB a rendu célèbre ; la foule de cette époque paraît bien sobre à côté de l’excentricité de celle d’aujourd’hui dont la télé raffole, présentant l’événement en long en large et en travers (des pelouses).

 

Traversons la Manche. En France, nous n’avons plus de couples princiers ou royaux dont le mariage enflamme le pays ; il nous reste leurs châteaux : Chambord, Versailles…

 

Chambord a été ordonnée par le roi François 1er pour impressionner l’empereur Charles Quint, son ennemi – ils se sont affrontés toute leur vie – qui aurait dit en 1539 en voyant le donjon de Chambord : « C’est un abrégé de ce que l’industrie humaine peut réaliser. » Commentaire un peu court sur un château qui ressemble à un rêve éveillé.

 

Versailles a été ordonné par Louis XIV pour donner chair à son désir de monarchie absolue ; tout y était conçu pour la vie rêvée des courtisans dont les vagues de salut au passage de sa majesté étaient comme les flots fendus par le vaisseau royal.

 

Quelle différence y a-t-il entre le mariage princier en Angleterre et les châteaux royaux en France ? En Angleterre, ils animent leurs vieilles pierres avec des romances d’aujourd’hui, et ça cartonne ! En France les romances royales se sont arrêtées à la Révolution (4).

 

On visite aujourd’hui les châteaux, restaurés aux frais de La République, mais les ministres de la République travaillent tous dans des somptueux hôtels particuliers de l’Ancien Régime, où régnait la douceur de vivre (5), propice au caresses…

 

On leur pose parfois des questions gênantes sur le prix d’une baguette, ou d’un ticket de métro ; on ferait mieux de les brancher sur leur drôle de vie sous les ors de la République : le film L’exercice de l’État, sorti en 2011, de Pierre Schoeller nous fait plonger dans le rythme trépidant de la vie d’un ministre, de sa secrétaire, et de son chef de cabinet, qui laisse parfois un grand cru caresser son gosier…

 

(1) Tu es magnifique. Il a ajouté : « I am so lucky ! » ; lucide la garçon. Comme personne n’a rien entendu, il s’agit de transcription de lecture sur les lèvres.

 

(2) https://www.youtube.com/watch?v=R1wAXsbVlHE

 

(3) Il y a une différence entre le mariage princier et la pièce En attendant Godot de Samuel Beckett : le couple va venir, alors que Godot, non. Mais sur l’essentiel, l’attente et ce qu’on en fait, les deux situations sont très comparables : seuls ceux qui savent s’occuper – d’eux-mêmes et de leurs amis – passent un bon moment, car le landau princier ne fera pas faux bond, mais il mettra du temps à venir.

 

(4) En leurs temps François 1er et Louis XIV n’ont pas abondamment caressé leurs femmes, mais leurs maîtresses : Marie Gaudin, Mary Tudor, Françoise de Foix, Anne de Pisseleu, pour le premier ; Françoise-Louise de La Valliere, Françoise-Athenaïs de Montespan, Françoise de Maintenon, pour le second. Leurs reines de femme n’étaient là que pour assurer un successeur sur le trône.

 

(5) Talleyrand a dit : « Ceux qui n’ont pas vécu avant 1789 ne connaissent pas la douceur de vivre. »  Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, issue d’une famille de la haute noblesse, était un génie de la diplomatie, et une fine gueule,

 

(6) L’exercice de l’État, avec Olivier Gourmet, Michel Blanc et Zabou Breitmann.

Les commentaires sont fermés.