Les haillons de l’écrivaillon
Lors d’un vernissage, un ami me présente comme guide conférencier à quelqu’un qu’il qualifie d’écrivaillon mais dont l’égo ne semble pas atteint ; sans doute à peine écrivaillon…
Le moussaillon deviendra mousse puis marin, le chefaillon se prend déjà pour le chef qu’il ne sera peut-être jamais ; mais l’écrivaillon ?
Selon le Robert, comme l’écrivailleur ou l’écrivassier, il est un homme de lettre médiocre ; deviendra-t-il écrivain ?
Décomposons : écriv(h)aillon, le « h » évoque une écriture en haillons. Des lambeaux à partir desquels j’écris ; j’ai la chance d’être présenté comme un guide conférencier, un type qui parle.
Les lambeaux de phrases sont les meilleurs morceaux qui donnent sa saveur au reste. Accommoder les restes, ma mère savait le faire en cuisine ; la cuisine commence au marché.
Comment commence l’écriture ? Dans le souvenir de la déchirure de l’émotion. La fêlure stimule l’écriture. Au départ la phrase n’existe pas ; ce n’est pas le verbe qui se fait chair, mais le souvenir d’une émotion qui arrivera parfois sur les lignes ou mieux restera entre.
L’écriture se tisse ; que c’est lent, quant à savoir si c’est beau ? Se poser la question assure que l’écriture ne dépassera pas la poésie du contrat d’assurance.
Au jeu en –aillon, terre donne Terraillon, marque de balance qui nous pèse, nous qui faisons notre poids tant que nous sommes soumis à l’attraction terrestre. La formule p = mg est formelle : sans gravité pas de Terraillon.
L’écrivaillon va prendre froid en haillons s’il va loin de la terre à la recherche de l’inspiration. Habillé normalement, assis sur un banc à regarder la vie pleine de gens, un bon moment l’attend. Écrira, écrira pas ; qu’il rende léger ce qui est grave. Sinon à quoi bon ?
L’homme en haillons dort dans un lit au centre d’hébergement. Lors de la réunion de présentation d’un futur centre au bois de Boulogne, un homme bien mis, les cheveux gris, l’âme noire, hurle « salope ! » à la tribune. Partie dans le mur, la réunion pile juste avant.
Le cerveau en lambeaux, l’homme rentre chez lui, « salope » en bandoulière. Il longe le bois, clope au bec, quand une dame flaire sa détresse et ses billets : « tu veux ? ».
Il veut, jette sa clope ; un sdf passe, la ramasse.
Bruno de Baecque
Voilà une écriture qui n’est pas d’écrivaillon en tous cas ! Quel beau jeu de
“Marabout, marabout, marabout, -bout, -bout,
Bout d’cigare, bout d’cigare, bout d’cigare, -gare, -gare”
(cela porte un nom je crois ?)
Quel instantané de la vie parisienne, dans toute sa crudité…
le fond est là, la beauté de l’ame et de l’écriture, ça deferle ça emporte, merci