Notre Dame des Cadenas
Natacha et Paulo scellent leur amour en accrochant un cadenas sur la rambarde du pont de l’Archevêché, voisin de Notre Dame de Paris ; sur la rambarde ou sur d’autres cadenas, car comme tout le monde s’aime et s’accroche, le tas n’en finit pas de grossir. C’est la multiplication des cadenas. Anecdote pour touristes ?
L’anecdote ressemble à une tapisserie métallique qui brille dans la lumière du soleil, devant laquelle les touristes se prennent en photo.
Ces « cadenas d’amour » sont accrochés rituellement, selon une tradition née dans années 80 en Hongrie ou au Ponte Vecchio à Florence, dont l’origine n’est pas très claire. À Paris, ils sont arrivés sur le pont des Arts, en 2008, puis en remontant la Seine sur le pont de l’Archevêché, plus récemment.
La Ville de Paris estime qu’il y a atteinte au Patrimoine et avertit qu’elle ne laissera pas les cadenas s’accumuler éternellement. Non mais !
L’aspect transgressif de cette accumulation fait sauter le verrou de l’anecdote « je t’aime, tu m’aimes, on ferme ! ». De plus près, la situation n’a rien de léger, en dehors même de son poids, avec les protubérances formées par les gros cadenas où se fixent les petits. Ça prolifère !
De l’accumulation d’objets qu’il trouvait aux Puces, Arman a fait des œuvres d’art, qui ont été au cœur de l’agitation des Nouveaux Réalistes, avant de s’endormir doucement dans la collection permanente de Beaubourg. Ici ce n’est pas l’accumulation qui fait la différence, c’est ce qu’elle représente.
Devant La Joconde, les touristes s’accumulent en un tas de gens qui ne s’accrochent pas les uns aux autres, mais chacun à son appareil photo pour en finir avec l’obligation d’avoir « vu » Le chef d’œuvre.
Aucune obligation d’accrocher son cadenas sur le pont, mais dès qu’il est fixé, il devient un élément de ce que fabrique l’énergie touristique.
Ces cadenas sont la production poétique inconsciente de la foule des touristes ; paralysée devant La Joconde, elle trouve ici un moyen sublime d’exprimer ce qu’elle est devenue, une accumulation monstrueuse qui ouvre la porte de l’étrange.
Allez au bout de la rambarde côté quai, mettez-vous accroupis et regardez la cathédrale rebaptisée : Notre Dame des Cadenas.
Bruno de Baecque