Casse-toi pauvre !
Dans le Figaro de mardi 29 janvier et dans le Parisien du lendemain, j’ai lu que samedi 26 janvier 2013, une petite famille deux parents et leur fils de 12 ans, pauvres, se pointent au musée d’Orsay, accompagnés par un bénévole d’ATD. Ils mangent d’abord au restaurant du musée et le personnel est très prévenant, donc jusque là tout va bien…
Les voilà, dans les salles des Van Gogh, où ils découvrent les vibrations envoyées par la lumière des toiles – sont-elles bonnes les vibrations de Van Gogh ? – mais à coup sûr, les vibrations que leur envoient leurs voisins de salle sont mauvaises, eux qui sentent bon et qui ne supportent pas leur mauvaise odeur. Car cette famille pauvre pue !
Mauvaise odeur des uns qui poussent les autres à se plaindre au gardien de ce déplaisir insupportable pour eux qui, s’ils admirent les œuvres d’un artiste qui lui-même était très loin de se laver tous les jours, pauvre qu’il était – mais ses œuvres ne puent pas – souhaitent surtout jouir du confort de voir des œuvres d’art dans un musée prestigieux.
Le gardien avertit la surveillance et un peu plus tard, un peu plus loin, la petite famille et son accompagnateur bénévole sont priés par quatre gardiens de s’en aller tout de suite !
À la sortie l’accompagnateur d’ATD demande des explications. Le musée – très embêté car très sensible à rendre le musée accessible à tous – lui dit qu’il a agit de la sorte pour protéger cette petite famille des remarques blessantes qu’elles aurait pu entendre, même si le jeune bénévole, fine mouche, assure qu’il n’a rien entendu, lui à qui le musée assure que l’on demande à ces pauvres de bien vouloir excuser ces riches d’être si méchants.
La famille accepte son sort, à la grande stupéfaction de son accompagnateur d’ATD. Pourtant il suffit de lire le roman d’Annie Ernaux La place, pour comprendre que des gens qui n’ont pas l’habitude de venir dans des musées, ne sont pas étonnés qu’on leur dise, en substance, que ce n’est pas leur place.
C’est d’autant moins leur place qu’ils n’y viennent que très rarement. Je le sais car je suis guide conférencier indépendant ; je fréquente régulièrement tous ces lieux avec des groupes et j’en croise d’autres, composés de gens dont le niveau social n’a rien à voir avec cette petite famille.
Cette petite famille qui pue apporte au musée l’odeur de la misère, au milieu de touristes qui la fuient dans des hôtels 3 ou 4 étoiles de la capitale où éventuellement une partie du personnel peut vivre dans des conditions de précarité, mais ils ne le voient pas. Ici à Orsay, voilà que les pauvres font comme les riches, ils regardent, alors qu’ils puent ! C’est insupportable aux yeux de ceux qui font tout pour se distinguer. Donc, une petite plainte au gardien. Casse-toi pauvre !
Les gardiens, selon Le Parisien, sont là pour appliquer le règlement. Le règlement ne demande certainement pas d’expulser cette famille. Les gardiens pensent peut-être que s’ils n’agissent pas ainsi – en écoutant la demande de confort, donc de tranquillité de la majorité – ils risquent des ennuis avec leur hiérarchie, ce en quoi ils se trompent vu la gêne du musée anticipant sur le retentissement possible de cette expulsion. Mais les gardiens n’ont sans doute pas eu envie de prendre position – pour la tranquillité de cette famille pauvre – conte « l’intranquillité » de quelques autres. Mais pourquoi la direction n’est elle pas venue elle-même gérer la situation ?
Imaginons un responsable du musée prenant sous son aile cette petite famille, sentant lui-même leur odeur, et répondant avec beaucoup de finesse à tous ceux qui manifestent leur gêne, que s’ils regardent les tableaux de Van Gogh, il faut qu’ils sachent que c’est Van Gogh qui a peint Les vieux souliers visibles dans l’exposition Bohèmes au Grand Palais. Bohème, tiens, tiens, et comment se lave-t-on dans la bohème ? Et ces vieux souliers, bonjour l’odeur des pieds qui en sortaient ! Van Gogh qui vivait lui-même dans la précarité, sentait-il bon ?
Revenons à la réalité. ATD signifie Agir Tous pour la Dignité. Voilà le problème que pose cette famille pauvre à tous ceux qui l’entourent de leur malveillance : comment rester digne dans le « malheur » qu’ils éprouvent à devoir se passer d’un de leur sens, eux qui sont habitués à ne se passer de rien ?
Rester digne, c’est résister à la tentation d’aller se plaindre au gardien de cet inconfort, en se rappelant que c’est par ce chaos, ce trouble, que commence notre vraie relation à l’art qui n’est lui-même que chaos et trouble vécu par un artiste dont l’œuvre est la trace.
Comment ne pas penser avec cette histoire à l’expérience des publics « empêchés » – les détenus – que le Centre Pompidou vient de vivre à la centrale d’Osny, deux ans après l’expérience du Louvre à la centrale de Melun. Ici, un effet domino à pousser le musée d’Orsay à empêcher une petite famille pauvre de jouir de l’art.
Guide conférencier, est-ce que j’organise des visites avec des gens pauvres ? Non et je le déplore. C’est pour cela que j’ai pris contact avec ATD afin de tenter de changer cela. À suivre donc…
Bruno de Baecque
Bonjour,
je vous écris en tant que guide interprète, amie de Dominique Vincent.
J’ai été très choquée par cette histoire,par l’attitude des surveillants, mais -comme vous le dites vous-même -ils ont fait du zèle par peur des autorités, mais aussi par le fait que, parmi les visiteurs, personne n’a pris la défense de cette “petite famille”.
Ou bien tout cela s’est passé très discrètement, on les a poussé dehors mine de rien.
Le plus triste étant bien sûr l’acceptation par cette famille de cette humiliation.
Mais alors, comment l’affaire s’est-elle ébruitée ? Par l’intermédiaire d’ATD Quart Monde ?
Les mots que vous avez écrits sont très justes, très beaux, merci beaucoup !
Une anecdote, si vous avez le temps de me lire encore :
un jour où j’étais en privé au musée d’Orsay j’ai remarqué dans la salle des Daumier une petite troupe perdue de gens variés, des jeunes, des enfants, valides ou en fauteuil roulant, qui ne savaient par où commencer. Ils m’ont expliqué que l’entrée leur était offerte par leur ville de banlieue, mais sans guide !
Alors j’ai décidé de les prendre en main, je leur ai montré des tableaux choisis au rez-de chaussée, puis nous sommes montés par l’ascenseur voir les Impressionnistes, et ils étaient très contents, parce que, seuls, ils seraient restés en bas.
Ils ont regagné leur car avec plus de 30 minutes de retard, et je n’ose imaginer les reproches qu’ils ont essuyés !
En somme, cette soit-disant générosité de leur ville cachait une grande indifférence.
Par ailleurs, il m’est arrivé de guider des groupes du Secours Populaire, c’est passionnant.
Bien cordialement
Françoise Mikcha-Ferraro
Merci pour faire connaitre cette situation et par cette chronique y porter un regard responsable sans concession qu’il n’y a pas lieu d’avoir
Le 16 novembre (naissance de l’UNESCO), jour international de la tolérance… l’intolérance commence là dans la “banalité quotidienne. La lutte contre l’intolérance nécessite des solutions locales(cf texte de ce jour:
Beaucoup d’entre nous savent que les problèmes de demain vont de plus en plus se mondialiser, mais peu réalisent que la solution des problèmes mondiaux est locale voire individuelle. Confrontés à l’escalade de l’intolérance autour de nous, nous ne devons pas attendre des gouvernements ou des institutions qu’ils agissent seuls. Nous sommes tous partie intégrante de la solution. Nous ne devrions pas nous sentir impuissants car nous possédons en fait une capacité énorme de pouvoir. L’action non-violente est un moyen d’exercer ce pouvoir, le pouvoir du peuple. Les outils de l’action non-violente – former un groupe pour s’attaquer à un problème, organiser un réseau local, manifester sa solidarité avec des victimes de l’intolérance, discréditer une propagande haineuse – sont à la disposition de tous ceux qui veulent mettre un terme à l’intolérance, la violence et à la haine)
Espoir espoir ! Le château de Versailles a invité un groupe de femmes chinoises “marcheuses de Belleville” à l’initiative de Médecins du monde, à venir visiter les grands appartements. Guide conférencière en chinois j’avais proposé de les accompagner bénévolement ce qui a été refusé mais elles ont pu faire leur visite individuellement. Pour avoir des portes ouvertes à tout un chacun mieux vaut avoir le consentement du maitre des lieux !