Monsieur Gauguin, l’erreur ce n’est plus le Grec
Je suis surpris, depuis que L’Apoxyomène de Croatie est arrivé dans la Rotonde de Mars du Louvre, le 23 novembre dernier pour y rester jusqu’au 25 février 2013, que personne n’ait eu une pensée pour Gauguin. « L’erreur c’est le Grec » avait-il lancé génialement pour s’affranchir du modèle antique encombrant dans la quête qu’il avait d’un nouveau langage pictural en tahitisant la Bretagne.
Sortie du fond de l’Adriatique grâce au coup d’œil d’un plongeur amateur à 45 mètres de fond, L’Apoxyomène en bronze est restauré par une équipe croate à Zagreb pendant quelques années avant d’être présenté dans la Rotonde de Mars au Louvre. Il date du IVe siècle av JC.
Pourquoi je pense à Gauguin ? Parce que cette sculpture est une réponse tardive à la préoccupation du peintre. Vu de face L’Apoxyomène a un corps d’athlète, un lutteur, avec des pectoraux impressionnant, et des lèvres rouge troublantes, mais vu de derrière, ses fesses et son dos racontent son voyage dans le temps. L’usure est là qui craquelle la peau de bronze.
Sa beauté est convulsive, comme dirait Breton, il sort du chaos, il a peut-être connu le feu de l’enfer…
L’erreur n’est plus le Grec quand ce Grec nous donne cette version-là de l’esthétique antique, celle qui offre des sensations fortes. Depuis le temps que nos sommes nourris par ces corps parfaits, les fesses et le dos de L’Apoxyomène nous disent quelque chose de plus intéressant que la perfection, que le temps passe, que la matière s’use, et que l’étreinte dont nous pourrions rêver, enveloppés dans ce corps si fort, est un voyage dans la chaleur du phantasme, dans l’intensité du rêve, où la peau hurle sa sensualité.
Noël approche, offrez-vous cette vision de L’Apoxyomène, dont les poignées d’amour appellent les mains, même si c’est l’œil qui reçoit cette invitation au voyage. Une invitation qui vous encourage à voir avant de savoir. Regardez assez longtemps ses fesses et son dos, laissez vous aller dans les failles des accidents de sa peau.
Son aspect brute de brute rappelle « la brutalité des faits » chère à Francis Bacon qui aurait adoré ce lutteur. Regarder c’est résister. Résister contre l’envie d’aller voir ailleurs où ce sera moins bien. Avec ce lutteur, mieux vaut s’abandonner…
Bruno de Baecque