L’éloquence, parlons-en !

Le film Le Brio est sur les écrans. L’occasion de rappeler qu’en 2017, quatre films français parlent de paroles sinon d’éloquence. La question se pose : qu’est-ce qui prime, bien parler pour que les autres nous distinguent ou bien les écouter pour les inviter à ouvrir leur cœur ?

 

Neïla Salah, en première année de droit à Assas, se fait agressée verbalement en plein amphi par le professeur Pierre Mazard, très sûr de sa supériorité, sous prétexte qu’elle est arrivée avec 5’ de retard ; ils vont se revoir fréquemment car il va la préparer au concours d’éloquence. Pourquoi ? C’est le sujet du film d’Yvan Attal, Le Brio, à la hauteur de son sujet, excellent !

 

L’éloquence est aussi le sujet du documentaire À voix haute, La force de la parole, réalisé par Stéphane de Freitas, sorti en avril. Un slameur, une metteuse en scène, mais surtout un avocat, entrainent des jeunes étudiants à maitriser le discours pour gagner le concours « Eloquentia », organisé depuis 2012 par L’Université de Saint-Denis. L’énergie vocale, la maitrise du verbe de l’avocat, sont impressionnantes ; comme le parcours du vainqueur, fasciné par l’amour de son père pour les mots, stimulé par ses traversées de la forêt jusqu’au RER. Un film essentiel !

 

L’éloquence, parlons-en ! Elle est le pré carré de la bourgeoisie qui reconnaît les siens à leur verbe et leur tenue ; méprise ceux qui parlent et s’habillent mal, selon ses critères, comme en banlieue. Jusqu’à quand ce cirque va-t-il durer ?

 

La parole est aussi un sujet sans l’éloquence. Dans une salle polyvalente de La Ciotat, des jeunes en réinsertion, à l’invitation de Pôle Emploi, participent à un atelier d’écriture ; le film L’Atelier de Laurent Cantet, sorti en octobre, montre à quel point il est difficile pour eux de parler, même d’un sujet qui les concerne. Parler, s’écouter, se considérer les uns les autres devient possible grâce au talent de la formatrice, troublée par la sincérité de l’un d’eux. Un film fondamental !

 

La parole est encore un sujet lorsque le handicap l’empêche. Une jeune bègue brillante à l’écrit en Terminale, est incapable de parler ; sa honte dure jusqu’à ce qu’elle rencontre un type de 30 ans qui ne sait pas lire et a honte de le dire. Ils vont s’aimer et se libérer. C’est le film M, réalisé par Sara Forestier. On est dans la marge, c’est drôle, ça fout les j’tons, c’est beau, c’est punk ! Putain de premier film !

 

La parole m’intéresse ; j’en ai fait mon métier de guide conférencier. La parole est d’autant plus riche qu’au lieu de briller, d’être l’essence d’un divertissement de qualité – les bons mots fusaient à la cour de Versailles – elle circule, se partage, se ponctue de silence ; souvent dans une visite, les mots d’une personne timide, assez en confiance pour dire ce que l’œuvre lui fait, nous fissurent.

 

Dans Le Brio, en bas d’une tour de banlieue, tandis que l’héroïne et son amoureux s’embrassent, un jeune de 10 ans les voit ; il est touché et dit à son copain avant de s’en aller : « Regarde comme il l’a fissurée ! » .

 

Puisse Le Brio cartonner afin qu’il devienne un objet de débat sur les réseaux sociaux, les plateaux TV, dans des revues spécialisées, et que la raison même de l’éloquence – s’élever dans la société – soit remise en cause : il sera toujours intéressant de s’élever, mais pas forcément dans la même société…

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